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Claire Simon © dpa picture alliance / Alamy Live News

Claire Simon : “On affiche le corps des femmes dans les maga­zines, mais la réa­li­té, et toutes les emmerdes qui vont avec, on ne les voit jamais”

Avec Notre corps, la documentariste Claire Simon propose une immersion puissante, au plus près du corps des femmes, dans le service gynécologique d’un hôpital parisien. Interview avec une pionnière du documentaire.

Causette : En filmant le corps des femmes, dans cet hôpital et son service gynécologique, vous parcourez tous les temps d’une vie, de la naissance à la mort, et c’est bouleversant. Ce récit en forme d’odyssée était voulu ou cela tient du hasard de vos rencontres ?
Claire Simon :
Oui, c’était voulu, je le savais dès le début ! Je voulais montrer toutes les étapes sur le chemin de la vie. Ce service gynéco, qui englobe tout ce que les femmes traversent au cours d’une vie, de la PMA au traitement de l’endomé- triose ou du cancer, était formidable pour ça. À l’origine, c’est Kristina Larsen, une productrice que je respecte beaucoup, qui m’en a parlé. Comme je l’explique dans le prologue, elle venait de passer deux ans à l’hôpital Tenon, à Paris, dans ce service. J’ai été très touchée par sa proposition. Et très vite, en fréquentant l’hôpital, le récit s’est imposé…

Ce qui est très beau dans votre film, c’est que la caméra filme les corps au plus près, mais sans jamais donner le sentiment d’être intrusive ou brutale…
C. S. :
D’abord, je tiens à préciser que nous étions une équipe féminine. Je ne pouvais pas imaginer tourner, sur place, avec un garçon, c’était impossible. Ensuite, bien sûr, j’ai filmé avec l’accord de toutes les personnes concernées. De fait, le parti pris de la mise en scène était de rester arrimée à ces corps. J’y suis allée franchement, mais avec le plus d’amour possible. Plusieurs choses m’importaient… Montrer leur beauté, même si ce ne sont pas des corps de magazine. Traquer la douleur, même si c’est le truc le plus difficile à filmer. D’ailleurs, j’ai des récits de douleur, c’est important, mais pas de plan ou de séquence où on la voit. Et puis, enfin, je voulais filmer comment le langage se relie aux corps. La médecine, c’est mettre des mots pour comprendre. D’où ces scènes de consultations, de face-à-face, d’explications entre les médecins et les patientes. Oui, le corps, la langue et la langue du corps, c’est ça qui m’intéresse !

Est-ce la raison pour laquelle vous filmez l’annonce de votre propre cancer, toujours dans ce même hôpital ? Une scène forte, généreuse aussi, et qui fait sens…
C. S. :
L’ironie de l’histoire, c’est que je voulais filmer une annonce de cancer, mais que cela m’avait été refusé. Et c’est à ce moment-là, on en était à plus de la moitié du tournage, que je suis tombée malade. S’il y avait quelqu’un qui pouvait témoigner, c’était bien moi ! Curieusement, j’étais effondrée, un peu, mais j’ai aussi pris ça à la légère. Il m’a fallu du temps pour prendre conscience de la situation. Sans doute parce que, du fait du tournage, je connaissais le protocole, j’avais l’impression que je savais…

Pour finir, diriez-vous que Notre corps est un film intimiste, politique, ou les deux ?
C. S. :
Politique ! Parce que montrer, c’est politique, de toute façon. On affiche le corps des femmes dans les magazines, mais la réalité, et toutes les emmerdes qui vont avec, on ne les voit jamais. Il est donc hyper important de montrer tout ce que le patriarcat juge dégoûtant et veut cacher. Ce que je fais. Voyez, au dernier festival de Berlin, ils
ont refusé de sélectionner mon film en compétition au motif que « ses images risquaient de choquer ». J’étais furieuse, la moitié de l’humanité était reléguée dans une section parallèle !

Notre corps, de Claire Simon. Sortie le 4 octobre.

Lire aussi l Camille Cottin : “Même si “Toni en famille” dresse le portrait d’une femme, cela n’en reste pas moins un film choral plein d’énergie de débordements de générosité…”

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