Cette semaine, notre sélection n’est que retours : le retour de Cédric Kaplisch dans les étoiles avec En Corps, le retour des personnages de Nous, princesse de Clèves avec En Nous et le Retour à Reims, adaptation du livre de Didier Éribon.
Cette ballerine emballe !
Ça n’est pas la première fois que la danse occupe une place de choix dans un film de Cédric Klapisch, mais elle a rarement aussi bien inspiré le réalisateur de L’Auberge espagnole ! En corps raconte comment Élise, danseuse classique, se réinvente après une grave blessure, au gré des rencontres, des déceptions et des nouvelles expériences… Jalonnée de ballets et de solos vibrants (en mode classique, jazz ou hip-hop), cette fiction sensible dégage une lumière inattendue. Il y est question non pas seulement de souffrance, mais aussi de renaissance. L’élan est d’autant plus plaisant que la douce Élise est interprétée par Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris. Formidable de naturel, elle s’avère être une actrice née… Joliment portée par Muriel Robin et Denis Podalydès.
En corps, de Cédric Klapisch. En salles.
Ouvrières de première classe
Le mot « fragments », du titre, est bien choisi. Adaptant librement Retour à Reims, livre fondateur du philosophe Didier Éribon, qui y raconte son parcours de « transfuge de classe », Jean-Gabriel Périot choisit de n’en retenir que quelques segments. Les plus universels selon lui. Bonne pioche ! Son documentaire, Retour à Reims (fragments), qui entend relater l’histoire du monde ouvrier français des années 1950 jusqu’à aujourd’hui, dégage une force singulière. Politique et poétique : passionnante.
Abandonnant certains thèmes centraux du livre (le rapport à l’homosexualité, notamment), le cinéaste se concentre sur les parents de Didier Éribon, singulièrement, sur les femmes de sa famille : sa grand-mère et sa mère. Et pour cause : le parcours de la seconde, intelligente, mais empêchée (pas question pour elle d’aller au-delà du certificat d’études), au corps fatigué sinon abîmé par l’usine, éclaire comme rarement l’histoire de la classe ouvrière (sans doute parce que les femmes en ont souvent été exclues).
C’est la première qualité de ces fragments ; l’autre étant la forme adoptée pour les rendre intelligibles et vibrants. Optant pour un fil chronologique, Jean-Gabriel Périot donne à voir un montage impressionnant d’extraits de films, d’archives, de reportages télé, qui ne se contentent pas d’illustrer son propos, mais l’incarnent. L’ensemble étant relié par la voix off d’Adèle Haenel, qui lit sobrement des passages judicieusement choisis de l’essai de Didier Éribon. Quelle bonne idée d’avoir confié à une femme et comédienne engagée la conduite de ce récit populaire !
Retour à Reims (fragments), de Jean-Gabriel Périot. En salles.
Princesses devenues reines
Il y a dix ans, Régis Sauder, documentariste des vies périphériques (Retour à Forbach, J’ai aimé vivre là), était allé filmer les élèves d’une professeure de français, Emmanuelle, dans un lycée des quartiers nord de Marseille. À partir de l’étude de La Princesse de Clèves, de Madame de La Fayette, il avait laissé cette chaleureuse bande d’ados dire leurs rêves, leurs désirs, leurs peurs, dans un documentaire digne, éloquent, formidable : Nous, princesses de Clèves.
Surprise ! Dix ans après, voilà que sa caméra attentive les saisit de nouveau (une dizaine d’entre eux, en tout cas). Mêlant subtilement les images d’hier à celles d’aujourd’hui, le cinéaste retrouve Emmanuelle, enseignante stoïque dont la voix claire sert de fil rouge, pour mieux interroger Armelle, Cadiatou, Laura, Albert, Abou et les autres sur leur vie d’à peine trentenaires. Que reste-t-il de leurs espoirs de liberté, d’égalité et de fraternité ? Telle est la question qui sourd de leurs rires et de leurs paroles, une fois encore, d’une clarté impressionnante.
Car ce qui frappe, par-delà la transformation physique de ces jeunes gens ou leurs déplacements géographiques, c’est leur détermination, malgré les assignations, les embûches, les déceptions. Et leur don de soi : plusieurs d’entre eux·elles ont ainsi choisi de travailler dans la fonction publique, singulièrement, dans le soin… Au final, il émane de ces jeunes issu·es des quartiers populaires une belle force tranquille, éminemment républicaine. En ces temps obscurs de la stigmatisation, ça fait sacrément du bien !
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En nous, de Régis Sauder. En salles.