Herbelin
À gauche : “Emmanuelle et Efi”. À droite : “Autoportrait” © Nathanaëlle Herbelin

L’expo à ne pas rater : à Orsay, Nathanaëlle Herbelin revi­site les Nabis en mode féministe

Aux côtés des peintres nabis du musée d’Orsay, l’artiste Nathanaëlle Herbelin revi­site leurs sujets de pré­di­lec­tion avec un regard inti­miste et féministe.

“Être ici est une splen­deur.” C’est le titre choi­si par Nathanaëlle Herbelin, jeune artiste franco-​israélienne, actuel­le­ment invi­tée par le musée d’Orsay à venir dia­lo­guer avec les œuvres des Nabis qui y sont expo­sées. Une cita­tion d’un poème de Rainer Maria Rilke qui révèle son pro­fond atta­che­ment à cette ins­ti­tu­tion dont elle par­court les allées depuis son enfance. Lorsqu’elle est étu­diante à l’école des Beaux-​Arts, à deux pas d’Orsay, elle s’inspire en par­ti­cu­lier de la pein­ture des Nabis, ce mou­ve­ment postim­pres­sion­niste né en 1889, un siècle avant elle, pour inven­ter ce qui devien­dra son style : une pein­ture figu­ra­tive empreinte de modernité. 

Dès l’obtention de son diplôme en 2016, elle est repé­rée par la Galerie Jousse Entreprise dans le 6arron­dis­se­ment. Depuis, elle enchaîne les expo­si­tions par­tout dans le monde à Tel-​Aviv, Berlin, New York, Bruxelles, Londres et même Pékin. À seule­ment 35 ans, elle incarne le renou­veau de la pein­ture figu­ra­tive avec un regard inti­miste et fémi­niste. De quoi séduire Nicolas Gausserand, conseiller en charge des pro­grammes contem­po­rains du musée d’Orsay. “Lorsqu’il est venu à mon ate­lier pour me pro­po­ser une expo­si­tion, j’ai d’abord trou­vé l’idée folle avant de me dire que ce n’était pas si sau­gre­nu. C’était un peu comme si la police du style venait mes deman­der des expli­ca­tions. Très vite, nous nous sommes mis d’accord pour rap­pro­cher ma pein­ture avec celle de Bonnard, Vuillard et Vallotton”, explique-​t-​elle dans le livret de visite.

Les maîtres nabis sur un mur, Nathanaëlle sur un autre. Le jeu des cor­res­pon­dances est amu­sant. Devant Emmanuelle et Efi (2024), mon­trant une jeune fille cares­sant son chat, on pense à La Femme au chat (1912) de Pierre Bonnard. Non loin voi­sinent le por­trait de sa grand-​mère sur son lit de mort (2022), avec celui du mar­chand Ambroise Vollard (1904) par Bonnard. L’inachèvement des deux toiles per­met de les rapprocher.

Palette sub­tile, approche intimiste

À l’instar des Nabis, la pein­ture d’Herbelin capte l’intimité : des sœurs qui s’enlacent, des amoureux·euses s’embrassant au coin d’une rue, une mère allai­tant son bébé, l’étreinte d’un couple ou la fin d’une his­toire d’amour. Avec sa palette sub­tile et son approche inti­miste, ses toiles dégagent une infi­nie ten­dresse. Des scènes de la vie quo­ti­dienne, révé­lant la beau­té des petits riens. Pour ses inté­rieurs, elle glisse dis­crè­te­ment un por­table ou un char­geur de télé­phone, élé­ments de nos vies connec­tées. Quitte à évo­quer notre addic­tion aux séries avec la repré­sen­ta­tion d’une chambre bai­gnée dans la lumière bleue d’un écran (Layla).

Peinture Layla © Nathanaëlle Herbelin

Mais ses toiles invitent éga­le­ment à une réflexion sur la condi­tion fémi­nine : la mater­ni­té, la soro­ri­té, la sexua­li­té, l’allaitement… Une réponse au male gaze du XIXe siècle, selon Nicolas Gausserand, le com­mis­saire d’exposition. Nathanaëlle Herbelin, c’est le female gaze en pein­ture, le corps vu autre­ment à l’image de cette femme s’épilant le maillot (Pince à épi­ler), réfé­rence directe aux scènes de toi­lettes si chères à Bonnard (Nu au gant bleu, Nu accrou­pi au tub). En fai­sant poser son com­pa­gnon, Jérémie, dans une bai­gnoire, elle explore le nu masculin.

La lec­ture du roman Être ici est une splen­deur, de Marie Darrieussecq l’a éga­le­ment ins­pi­rée pour l’une de ses toiles. Dans ce magni­fique texte, l’écrivaine raconte la vie de la peintre alle­mande Paula Modersohn-​Becker. Parmi les repré­sen­tantes les plus pré­coces du mou­ve­ment expres­sion­niste dans son pays, elle fut, en 1906, la pre­mière femme artiste à se repré­sen­ter nue, qui plus est enceinte, avant même de l’être. Elle appren­dra sa gros­sesse l’année sui­vante, avant de mou­rir en couches. En son hom­mage, Nathanaëlle s’adonne au même pro­cé­dé, se por­trai­tu­rant dans sa douche, le ventre légè­re­ment bom­bé, révé­lant son propre désir d’enfant encore inas­sou­vi. Comme Paula Modersohn-​Becker, elle sera enceinte très peu de temps après. Désormais maman d’une petite fille, l’artiste de 35 ans y voit un signe des pou­voirs incan­ta­toires de la pein­ture, à la manière des ex-​voto, ces toiles de petits for­mats que l’on pla­çait dans les églises pour faire qu’un vœu se réalise. 

En fin de par­cours, une ving­taine de ses tableaux de poche sont d’ailleurs pré­sen­tés, en constel­la­tion, au milieu de toiles d’édouard Vuillard, de Maurice Denis, Paul Ranson et Pierre Bonnard, sans que l’on par­vienne tou­jours à déce­ler les­quels sont de leurs mains ou des siennes. Une huile pas plus grande qu’une feuille A4 s’intitule Dans ma paume, ta pen­sée. Probablement un clin d’œil aux Nabis, qui para­phaient leurs cor­res­pon­dances du sigle “ETPMVMP” (“En ta paume mon verbe et ma pensée”).

Nathanaëlle Herbelin “Être ici est une splen­deur”. Jusqu’au 30 juin au musée d’Orsay (Paris).

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