Dans un kaléidoscope de couleurs, la peintre Lydia Maria Pfeffer représente un réjouissant monde parallèle dans lequel de mystérieuses créatures mi-bêtes, mi-femmes se tirent les cartes et prennent le thé au milieu d’une nature luxuriante et protectrice.
Quelle est donc cette femme-lion, à moins qu’il s’agisse d’un chat-femme à barbe, tapie dans cette jungle opulente ? Dévoilé à notre œil à distance, à travers une fenêtre de la galerie Droste donnant sur une cour intérieure elle-même donnant sur une annexe du lieu dans un joli bâtiment en pierres de taille comme il s’en trouve derrière les portes cochères du Marais, le tableau, format carré et monumental, s’appelle Dream in Green. « C’est l’œuvre préférée de l’artiste dans cette exposition, explique Laure Saffroy-Lepesqueur, curatrice dans cette galerie située rue des Archives, dans le IIIème arrondissement de Paris. Ici, Lydia Maria Pfeffer revisite la figure des bêtes peuplant la forêt : le loup sanguinaire a été transformé en une femme apprêtée, mais qui se fait belle uniquement pour elle-même, puisqu’elle vit isolée. Cette œuvre raconte aussi une acceptation joyeuse de la solitude. »
L’installation de Dream in Green dans cet endroit caché raconte beaucoup de la créativité et de la passion de Laure Saffroy-Lepesqueur et de Claire Guinet, directrice de l’antenne parisienne de la galerie Droste, née tout d’abord à Düsseldorf en Allemagne. Animées par la mission de mettre en avant des artistes manquant injustement de reconnaissance à leurs yeux, les deux jeunes femmes accueillent les œuvres de l’Autrichienne Lydia Maria Pfeffer pour la seconde fois, après une exposition en 2021. Pour celle-ci, visible du 17 juin au 29 juillet, les galleristes et l’artiste ont sélectionné des tableaux récents de cette dernière pouvant correspondre au thème qu’elle a elle-même choisi : Love Magic, c’est le nom de l’expo, se veut une « ode à un amour qui n’est pas restreint au sentiment amoureux mais peut aussi être celui que nous portons à la nature, ou à la famille qu’on s’est choisie, dans un état d’esprit assez queer », explique Laure Saffroy-Lepesqueur.
En plongeant dans le grand bain amoureux, la femme-léopard va-t-elle perdre sa flamme ?
Le résultat est une plongée réjouissante dans le monde parallèle issu de l’imagination de la peintre qu’elle déverse dans une explosion de couleurs dans des huiles sur toile aux formats généreux. « On est encore toujours un peu punk en tant que peintre quand on décide de représenter sur de grandes toiles des sujets qui ne semblent pas primordiaux », observe Laure Saffroy-Lepesqueur en faisant référence au pionnier en la matière, Gustave Courbet, qui cassa l’usage pieux du grand tableau en représentant Un enterrement à Ornans. Pas d’enterrement chez cette artiste quadragénaire installée à New York mais d’étranges créatures mi femmes, mi bêtes, évoluant dans une nature luxuriante semblant les protéger de la civilisation bêtement humaine. Ici, une sirène (un personnage récurrent chez Pfeffer) joue aux cartes avec un loup-garou, là un Pégase boit le thé avec d’autres merveilleux.ses compères, dont une femme-oiseau qui pourrait, glissent les galeristes, être une évocation de l’artiste elle-même. Dans Re-Entering the water of love, une « femme-léopard » incandescente chevauche un « homme-aligator”, selon la description de Lydia Maria Pfeffer. « Cette peinture exprime, contrairement aux autres, un doute : en plongeant dans le grand bain amoureux, la femme-léopard va-t-elle perdre sa flamme ? », questionne la curatrice de Love Magic.
La multiplicité des symboles – astraux, mythologiques, païens – nichés dans ces scènes rattache l’oeuvre de l’Autrichienne aux mouvements surréalistes et symbolistes. « Tout en étant également inspirée du courant naïf porté par Le Douanier-Rousseau », relève Laure Saffroy-Lepesqueur. Mais le monde doux, heureux et queer de Lydia Maria Pfeffer (en atteste Sweet love, un tableau représentant un couple féminin) est un refuge. Strength is a Beast of Burden, peint dans un camaïeu de noir et gris, est là pour rappeler la violence de l’extérieur. On y voit une femme chevauchant son « compagnon lion », le visage couvert de pansements et de cicatrices. « Pfeffer nous dit ici qu’accéder au bonheur et à l’amour est un parcours, et que la résilience est difficile », conclut Laure Saffroy-Lepesqueur. Une oeuvre certes onirique mais qui résonne avec son époque.
Love Magic, de Lydia Maria Pfeffer, à la galerie Droste (72 rue des Archives 75003 Paris) du 17 juin au 29 juillet.