Jusqu’au 3 janvier, le Musée de l’image d’Épinal propose une réjouissante immersion dans la presse à chiffons, comme un miroir de l’évolution de la condition féminine. Portfolio !
« Suivez-moi jeune homme » ? C’est le nom du ruban que les femmes de la seconde moitié du XIXe siècle portaient en bas des reins pour attirer les regards masculins. Ce même ruban, apprend-on au cours de l’exposition éponyme se tenant du 16 octobre 2020 au 3 janvier 2021 au Musée de l’image d’Épinal, sera par la suite porté sur les chapeaux de ces dames… Avant d’être transformé en ruban à messages pour le droit de vote des femmes par la chirurgienne esthétique et infatigable suffragette Suzanne Noël !
Bref, nous le savons, le vêtement et la mode sont politiques. « L’évolution des robes est le parfait miroir de la condition de celles qui les portent », appuie Christelle Rochette, directrice du musée et commissaire de Suivez-moi jeune homme, qui s’intéresse à la presse de mode entre 1850 et 1939. C’est en se penchant dans les stocks des magasins de son musée contenant plusieurs images d’Épinal se moquant des crinolines, ces cerceaux de bois faisant bouffer les robes jusqu’à la démesure tout en entravant la mobilité des femmes, que Christelle Rochette a eu l’idée de cette exposition : ou comment l’imagerie populaire (dont la ville d’Épinal fut grande pourvoyeuse, notamment grâce à l’imprimerie de Jean-Charles Pellerin, fondée en 1796) s’est emparée de la mode féminine et a largement contribué à la diffusion de modèles suscitant le désir des femmes de toute couche sociale.
Vendre le vêtement par la réclame, le mettre en valeur grâce aux premières mises en scène dans des magazines de mode à très grand tirage, ou encore critiquer sa fonction sociale, grâce aux talents de caricaturistes de ses dessinateurs : l’imagerie populaire accompagne l’essor de l’industrie textile qui rayonne en France au moment de la révolution industrielle. « Les titres de presse se multiplient durant les années relativement permissives du règne de Louis Philippe (1830−1848), décrypte Christelle Rochette. Parmi eux, de nombreux journaux spécialisés dans la mode. À l’époque, on mesure l’aisance d’un ménage au volume de tissu de la robe de Madame. Les costumes de Monsieur s’assombrissant, les robes de l’épouse deviennent en quelque sorte la vitrine de sa richesse. » Dès lors, le chiffon – qui garde captives les femmes en leur coupant le souffle grâce au corset et en les encageant grâce à la crinoline – n’a rien de superficiel.
Des revues en noir et blanc ou en couleurs
Avec l’apparition du prêt-à-porter et des grands magasins, le chic et le glamour deviennent accessibles au plus grand nombre. Ce qui n’empêche pas la presse féminine de continuer à proposer de nombreux patrons pour réaliser soi-même ses vêtements. « Ce sont des revues auxquelles on s’abonne en version couleur si on a les moyens ou en noir et blanc pour plus d’économies, précise Christelle Rochette. D’ailleurs, pendant très longtemps, ces journaux ont privilégié la gravure à la photographie, parce que le noir et blanc de la photo lui faisait perdre de son intérêt pour représenter le vêtement. »
Le Jardin des modes, La Mode illustrée, Femina ou encore la très qualitative Gazette du bon ton… Ces précieuses feuilles jaunies, visibles dans Suivez-moi jeune homme, sont les témoins des transformations de leur époque et de la progressive libération des corps féminins. Paul Poiret, dont l’exposition propose deux livres rares de dessins, décorsète les poitrines et instaure les coupes droites et fluides, si caractéristiques des années 1910 puis des Années folles. Enfin ! il est troublant de voir marquée, au travers du parcours de l’exposition, la rupture si nette entre l’habit féminin conçu comme une cage jusqu’à la Belle Époque et l’habit féminin libérateur des années suivantes. Pour autant, la stylisation du dessin n’a‑t-elle pas été le péché premier de l’image de mode, traçant, bien avant la photographie qui s’en inspirera, des silhouettes graciles, mais irréelles ? Une réflexion à mener en visitant une expo définitivement politique.
Causette vous propose un portfolio extrait de l’exposition, à voir au Musée de l’image d’Épinal jusqu’au 3 janvier 2021.