Dans Nos puissantes amitiés, qui paraît ces jours-ci aux éditions La Découverte, la journaliste Alice Raybaud constate que nous sommes de plus en plus nombreux et surtout nombreuses à replacer l’amitié au centre de nos vies. Pour le meilleur et pour le… meilleur !
Puisque le couple romantique bat de l’aile, que le modèle de la famille traditionnelle a pris un coup sur le crâne et que la violence du patriarcat et du capitalisme rebattent méchamment les cartes de nos organisations intimes, les liens amicaux vivent une nouvelle jeunesse et s’invitent dans nos existences. L’ère post #MeToo voit émerger et fleurir ces liaisons toutes particulières pleines de promesses intimes et politiques.
Causette : Vous êtes journaliste pour Le Monde, pour lequel vous travaillez sur la jeunesse. Vous dites que c’est depuis cet angle-là que vous avez vu émerger ces dernières années un investissement particulier du champ de l’amitié. Comment, d’abord, expliquez-vous cet investissement ? Ensuite, diriez-vous que cela ne concerne que la jeunesse ?
Alice Raybaud : Ces dernières années, on a assisté, dans le sillage de #MeToo, à un regain du questionnement du modèle du couple hétérosexuel et de ses dommages patriarcaux, qu’une partie de la jeune génération a pris à son compte. Cela a entraîné une modification des désirs chez certains, et peut-être surtout chez certaines : l’envie de ne plus se fondre entièrement dans ce schéma conjugal, de laisser aussi la place à d’autres liens d’intimité, comme l’amitié, souvent présentée comme secondaire et supposée s’effacer devant le couple et la famille. De nombreuses personnes veulent alors aujourd’hui revendiquer, célébrer ces liens qui n’ont droit, dans nos sociétés, à aucun rite public. Jusqu’à pour certains décider de mener des projets de long terme entre amis. Un mouvement qui, je m’en suis rendu compte, ne concerne pas uniquement la jeunesse : construire sa vie en dehors des chemins battus de la seule famille nucléaire donne de plus en plus envie à de nombreuses générations.
Alors que Rousseau, Montaigne ou La Boétie, entre autres, ont écrit sur leurs amitiés viriles, l’histoire de l’amitié féminine est très peu écrite et documentée. Pourquoi ?
A. R. : C’est vrai qu’à côté de tous ces grands tandems masculins de la vie publique ou la mythologie, qui sont restés, l’histoire de l’amitié féminine se résume, elle, à une quasi-page blanche. D’abord, parce que ce sont des liens qui ont été largement entravés, pour contenir les femmes dans les rôles qui leur étaient assignés dans le foyer. Mais peut-être surtout parce qu’ils ont été effacés par une[…]