Que dirait le corps s’il pouvait parler ? Cette question – qui pourrait aussi bien ouvrir un séminaire de développement personnel – est au cœur des trois romans les plus merveilleusement étranges, non genrés (au sens de genre littéraire) et éblouissants de ce printemps.
Faire corps
Dans Faire corps, son premier roman, Sophie Benard relève un défi littéraire inédit : faire dialoguer le corps et l’esprit. D’un chapitre à l’autre, ces deux entités parlent l’une de l’autre, se toisent, cherchent à prouver leur indépendance, à se quereller, se réconcilier et à cohabiter. Le corps se vexe d’avoir été nommé ainsi – “Du latin corpus, corpori. C’est-à-dire le cadavre, la charogne, le corps mort – c’est vexant.” Il rappelle à la narratrice qu’il est bien plus que cela. “C’est moi le point de départ de sa pensée. Les belles idées, les grands concepts, c’est moi. La liberté, la justice, l’amour, l’infini, Dieu, c’est moi. Qui d’autre ?” C’est ensuite l’esprit qui prend la parole. Genrée au féminin, cette âme lucide rappelle son rôle quotidien. Le temps passé à déchiffrer les désirs du corps, ses nausées, à les coucher chez le médecin, à combler ses besoins. Elle retrouve la trace des organes blessés, des dents de lait arrachées, des blessures incomprises, des désirs niés. Elle pardonne à son corps la complicité juvénile perdue. L’époque où celui-ci se pliait, sans[…]