Après Inside Kaboul, dans lequelle elles racontaient leur quotidien après la prise de Kaboul par les Talibans, Raha et Marwa reprennent le micro dans Outside Kaboul. Une correspondance sonore bouleversante qui raconte, de l’intérieur, l’exil et les destins croisés de deux jeunes Afghanes.
C’est une histoire qui a commencé il y a plus de trois ans. En août 2021, au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, la journaliste belge Caroline Gillet a débuté un échange avec Marwa et Raha, deux Afghanes d’une vingtaine d’années. À travers des notes vocales enregistrées sur leur téléphone, les deux amies y racontent, par bribes, cette vie chavirée par le retour du régime des talibans et leurs trajectoires différentes qui vont en découler : Raha va rester, tandis que Marwa va quitter le pays. Deux destins parallèles et un récit croisé qui sont au cœur d’Inside Kaboul, ce podcast en neuf épisodes diffusé en 2022 sur France Inter, multiprimé et depuis adapté en documentaire animé (à voir sur France.tv). Et qui se poursuit aujourd’hui avec Outside Kaboul, sorti le 8 mars et disponible sur Radio France.
Ce deuxième volet s’ouvre en avril 2022, avec le bruit du vent et des vagues : celles de la mer Baltique, au nord de l’Allemagne, où Marwa est arrivée quelques jours plus tôt avec son mari, après avoir transité pendant sept mois par un camp de réfugié·es à Abu Dhabi (émirats arabes unis). C’est la première fois qu’elle voit la mer. Raha, elle, vit toujours à Kaboul, où elle s’est mariée et où elle est plus que jamais tiraillée entre son envie de rester auprès des siens et la nécessité, de plus en plus pressante, de fuir le pays.
Au fil de leur correspondance sonore avec Caroline Gillet, les deux jeunes femmes nous font partager ici leur expérience intime de l’exil. Celui de Marwa qui, tout juste arrivée en Allemagne, décroche une bourse pour étudier dans la prestigieuse HEC, à Paris, où elle s’installe pour deux ans, alors que son mari est resté en Allemagne. On y suit aussi les hésitations de Raha, désormais enceinte, puis son élan et son départ pour le Pakistan, qu’elle doit parvenir à rallier – obligatoirement accompagnée d’un homme – pour pouvoir déposer une demande de visa pour la France.
Extase de la première pizza et mal du pays
Semaine après semaine, note vocale après note vocale, on y découvre avec émotion les joies qui accompagnent la découverte de ces nouveaux ailleurs : l’extase de Raha lorsqu’elle goûte à sa première pizza, son émerveillement face aux costumes des conducteurs·rices de bus parisien·nes, qu’elle trouve du plus grand chic… Mais aussi la terrible solitude de Marwa. La douloureuse absence de celles et ceux qu’on a laissé·es “entre les mains des montres” ou qui sont parti·es sur un autre continent et qu’on ne sait pas quand (et parfois si) on les reverra. Sans compter les décisions ubuesques de l’administration, le traitement réservé aux exilé·es Afghan·nes… Nous tirant tour à tour larmes et sourires, Outside Kaboul, c’est l’histoire “de ce qui est comme dans les films… et de ce qui ne l’est pas”, nous dit la voix off de Caroline Gillet. Qui partage, elle aussi, ses questionnements et ses états d’âme tout au long du podcast.
Car Outside Kaboul, c’est aussi une réflexion sur le positionnement et l’éthique journalistique, un dispositif comme celui-ci venant questionner en profondeur les règles du métier : garder une distance avec ses témoins, ne jamais leur donner d’argent, ne pas les aider… Est-ce encore possible après deux ans d’échanges intimes ? Où placer le curseur ? D’autant que Marwa et Raha sont désormais bien plus que de simples témoins. Si Caroline Gillet est l’initiatrice du podcast, les deux jeunes femmes en sont devenues les coautrices. Et c’est précisément parce qu’elles ont été rémunérées pour leur travail qu’elles ont pu faire valoir leur statut de journaliste, puis obtenir un visa pour la France – et, dans le cas de Raha, le statut de réfugiée. Ce qui est loin d’être une évidence pour les 17 000 Afghan·es qui ont déposé une demande d’asile en France l’an dernier.
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