L’actrice et réalisatrice Valeria Golino a présenté à Cannes le premier épisode de son adaptation en série de L’Art de la joie, célèbre livre de l’écrivaine italienne Goliarda Sapienza mondialement découvert de façon posthume. Elle nous parle de ce livre et de son héroïne Modesta.
Causette : Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous avez découvert L’Art de la joie, le livre, et dans quelles circonstances ?
Valeria Golino : C’était plus ou moins il y a vingt ans. J’ai été complètement surprise par cette façon d’écrire bizarre et ces personnages féminins, notamment celui de Modesta, l’héroïne, bien sûr… Jamais je n’avais rencontré quelqu’un comme ça dans la littérature. Sa vie, ses histoires, je n’étais presque pas prête à absorber tout ça ! Mais surtout, quand je l’ai lue, je me suis souvenu que j’avais connu l’écrivaine, Goliarda Sapienza, quinze ans auparavant, dans les 1986 je pense. Je l’ai connue parce que j’ai fait un film avec son mari, Angelo Pellegrino, qui en était le réalisateur. Un jour, il m’a emmenée chez elle pour que j’apprenne à parler sans mon accent napolitain. Je suis de Naples et je devais jouer un personnage romain. Et il s’avère qu’elle était devenue coach d’acteurs. Voilà. Je l’ai rencontrée plusieurs fois. Et je me suis dit, c’est incroyable que cette dame que j’ai connue, et chez qui je suis allée trois fois par semaine pendant deux mois, était l’autrice de ce texte brûlant. C’est ça, la sensation que j’ai eue quand je l’ai lue la première fois.
Comment on se dit : je vais adapter cette œuvre folle, démente ?
V.G. : Pendant des années, des gens ont voulu l’adapter. On m’a proposé plusieurs fois de jouer l’actrice dedans. C’est pour ça que je l’avais lu peut-être la première fois d’ailleurs. Mais les projets n’ont jamais abouti. Et il y a cinq ans, ma productrice, avec qui j’ai fait mes deux autres films, m’a dit, les droits de L’Art de la joie sont libres. Est-ce que tu es intéressée ? Angelo Pellegrino, le veuf de Goliarda Sapienza a dit à ma productrice, si Valeria est dedans quelque part, je vous les vends à vous et pas aux autres. Alors, elle m’a dit, il faut dire que tu seras quelque part. Finalement je l’ai réalisé.
Je voudrais qu’on parle du personnage de Modesta, l’héroïne du livre. Qu’est-ce que vous avez éventuellement de commun avec elle ?
V.G. : Peut-être sa partie plus lumineuse, son désir pour la joie, pour le moment, pour le présent. C’est quelque chose que je comprends et à quoi j’aspire… Mais Modesta, c’est un freak un peu. Elle n’a pas de culpabilité. Elle ne psychologise pas. Elle ne regarde pas derrière elle. Elle n’est pas victime. Même quand elle est abusée. Elle va de l’avant. Peut-être que Goliarda Sapienza ne serait pas d’accord. Mais pour moi, c’est un livre extrêmement psychanalytique. Mais jamais psychologisant. Parce que les choses se passent d’une certaine façon et se répètent… Elle tombe amoureuse quand c’est nécessaire. Elle pleure quand c’est nécessaire. Elle est manipulatrice quelquefois, bien sûr. Elle dit des mensonges. Elle est pansexuelle. Et ce n’est pas idéologique, c’est naturel. Même pas réfléchi. Elle va vers son désir. Le livre a eu beaucoup de mal à être publié aussi pour ça. Pour sa façon de parler de la sexualité et du désir féminin.
Vous disiez que ce personnage et ce livre ont symbolisé pour vous la notion de désobéissance.
V.G. : Goliarda a une écriture désobéissante. Mais complètement. C’est le désordre total dans l’harmonie.Elle fait des choses qui d’un point de vue littéraire sont presque, pourrait-on dire, des erreurs. Mais elle les fait. Elle le sait. C’est un choix. Le désordre littéraire du langage qu’elle crée est très intéressant.
Vous avez parlé spontanément de la sexualité féminine. Qu’est-ce que vous, quand vous faites une série, vous avez le sentiment de transgresser encore aujourd’hui par rapport à ça ou pas ?
V.G. : Elle est beaucoup plus transgressive que ma série. Moi j’ai une pudeur, une espèce de relation avec le sexe qui est différente de Goliarda, qui m’empêche de faire ce que Goliarda voudrait. C’est filtré par mon érotisme, par mes pudeurs, par ma mentalité d’aujourd’hui. Elle, elle était beaucoup plus sauvage. Il y avait des choses du livre qu’on ne pouvait pas mettre dans la série.
Il y a cette scène où elle est abusée par son père. C’est une scène difficile à filmer. Comment on réfléchit à ça ? Comment on le pense ?
V.G. : Cette scène, dans le livre, est une des scènes les plus pudiques qu’elle a écrites. Elle est extrêmement puissante. Dans cette scène-là, il y a une abstraction. Et pour moi aussi, il fallait que ça nous dérange, mais sans voyeurisme. J’étais très préoccupée par ça. J’ai tourné deux jours et demi avec la petite actrice et l’acteur qui fait le père. J’ai passé deux jours et demi comme en transe. Parce que je voulais faire une scène puissante tout en protégeant absolument la petite au maximum.
Diffusion prochainement en France sur Sky.