En 2022, 20 325 procédures de ligatures des trompes ont été recensées en France, selon des chiffres communiqués par l’Assurance-maladie. À l’heure où le président de la République, Emmanuel Macron, parle de “réarmement démographique”, des femmes ont choisi de revendiquer cette opération à visée contraceptive.
Pauline n’a pas d’enfant et n’en aura jamais. Autour d’une jolie table dressée dans un jardin, avec bouquets de fleurs fraîches et gâteaux gourmands faits maison, cette artiste française de 36 ans installée en Belgique a réuni une petite dizaine de proches pour une occasion bien particulière : fêter sa “no baby shower”. Soit la réussite de sa salpingectomie, une ligature des trompes à visée contraceptive, effectuée en début d’année. En France, cette procédure est autorisée par la loi depuis 2001. Elle est accessible aux personnes majeures et demande un délai de réflexion de quatre mois.
Un acte personnel et politique
“J’ai de plus en plus d’amis qui font des bébés, se marient et célèbrent ce genre d’événements. Je me suis dit pourquoi ne pas réunir autour de moi les personnes qui m’ont soutenue dans l’un des moments les plus importants et joyeux de ma vie”, explique Pauline par téléphone, au lendemain de sa no baby shower, un terme “utilisé comme une blagounette”. “Ayant essentiellement des amis fauchés, je leur ai dit de venir avec un peu de bouffe et c’est tout”, ajoute celle pour qui il n’était pas question de copier l’extravagance de ces fêtes venues des États-Unis et qui se popularisent en France comme en Belgique. L’objectif, on le rappelle : réunir des proches en vue de la naissance d’un futur enfant. Dans les versions les plus ostentatoires, le bébé encore en gestation est couvert de cadeaux tandis que ses parents en profitent pour révéler son genre, la fête tournant alors à la gender reveal party.
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Pour sa no baby shower, Fanny, une Belge de 29 ans qui travaille dans l’audiovisuel et les arts numériques et qui a été opérée en mars 2023, raconte : “Un de mes amis a fait une vasectomie et avec sa copine, ils ont envoyé un faire-part de non-naissance. J’ai trouvé la démarche amusante et j’ai poussé le concept jusqu’au bout. J’ai organisé une fête pour annoncer que je n’aurai jamais d’enfant et envoyé une invitation où figure le nom de mes chats, comme si on était une petite famille.”
Les festivités se sont déroulées dans un parc en juin dernier dans lequel Fanny a convié ses proches lors d’un pique-nique et a distribué des parts d’un gâteau “ultra queer” aux couleurs de l’arc-en-ciel, clin d’œil critique aux gender reveal parties où le bleu et le rose annoncent si le bébé est une fille ou un garçon. “Je me questionne sur la manière dont on célèbre ce qu’un bambin va ou ne pas avoir entre les jambes”, précise Fanny, qui a reçu des cadeaux “inappropriés aux enfants” comme “un briquet Zippo rose très stylé”. “Il n’y a pas eu de sextoy ou de katana, c’était assez bon enfant finalement.”
Même si sa ligature des trompes représente un acte “très personnel”, il n’en reste pas moins pour Fanny “très politique” : “Pour beaucoup de personnes, le fait de ne pas avoir d’enfant fait de nous des femmes incomplètes. Je voulais montrer que je pouvais me complaire dans la non-parentalité.” À la différence de Fanny, Pauline ne souhaite pas quant à elle politiser son geste au-delà de son cercle amical et familial proche. “Je n’ai pas la fibre militante, je n’ai pas envie de le porter publiquement, mais à mon échelle, dans mon cercle proche, j’en parle pour dire que c’est possible.”
Vers une révolution sociale et affective
Sur TikTok en 2022, Abby, une Américaine d’une vingtaine d’années, s’est amusée à reprendre les codes de l’annonce d’une grossesse pour communiquer sur sa ligature des trompes. “Après six ans d’essai… j’ai enfin trouvé un médecin qui m’a écoutée”, s’enthousiasme-t-elle dans sa vidéo visionnée plus de 4 millions de fois. La viralité de son témoignage n’a cependant pas créé de mouvement dans son sillage. Réunir ses proches après une stérilisation reste un acte marginal, mais indique, pour reprendre les mots de Johanna Cincinatis Abramowicz dans son livre Elles vécurent heureuses (Stock), qu’une “révolution sociale et affective [pointe] le bout de son nez”.
Contactée par téléphone, l’autrice explique : “Ce n’est pas la tendance, car les fêtes de la vie des femmes sont toujours liées à quelque chose qui les inscrit dans un contexte hétéropatriarcal, comme l’enterrement de vie de jeune fille et la baby shower.” Elle observe aussi que ce sont “toujours aux personnes concernées d’expliquer que le groupe [social, ndlr] peut exister en dehors des célébrations romantico-sexuelles et parentales”. À nous de porter une attention particulière aux choix de nos proches et de réinventer les codes de la norme. À quand, comme le souligne Johanna Cincinatis Abramowicz, l’envoi de carte de vœux pour l’achat d’un appartement, la sortie d’un livre, une démission ou une rupture ?
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