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© Nathan Dumlao / Unsplash

Écrans chez les assis­tantes mater­nelles : “Nous sommes déjà très sen­si­bi­li­sés à la ques­tion et avons plu­tôt un rôle de pré­ven­tion à jouer auprès des parents”

Dans son rapport rendu fin avril à Emmanuel Macron, la commission sur l’exposition des enfants aux écrans a pointé du doigt la problématique des usages des assistantes maternelles. Un camouflet pour le Syndicat national des professionnel·les de la petite enfance, qui dénonce une stigmatisation non étayée, loin des pratiques et du professionnalisme des “ass mat”.

Un petit bib, une comptine et puis l’intégrale de L’âne Trotro pour faire dérouler l’après-midi ? C’est ce qu’ont lu, entre les lignes du rapport de la commission sur l’exposition des enfants aux écrans, de nombreuses assistantes maternelles ou familiales. Rendu le 30 avril au président de la République, Emmanuel Macron, le rapport intitulé “Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu” émet une série d’observations et de recommandations à l’issue de dizaines d’auditions de professionnel·les de la petite enfance, de la santé ou encore de parents. Mais les assistantes maternelles et familiales – les premières exerçant à leur domicile, les secondes dans la famille – y ont été épinglées à plusieurs reprises.

“La question de l’usage des écrans en interférence à la relation aux enfants paraît plus problématique chez les assistantes maternelles ou les nounous recrutées par les familles”, peut-on y lire. Ou encore : “La commission plaide pour la mise en place d’actions renforcées auprès des assistantes maternelles et des nounous […] pour sensibiliser les professionnels aux dangers des écrans.” Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnel·les de la petite enfance (SNPPE), revient pour Causette sur ces conclusions, qui stigmatisent inutilement à ses yeux une profession déjà largement sensibilisée à ces questions.

Causette : Quelle a été votre réaction à la lecture des passages du rapport de la commission sur l’exposition des enfants aux écrans concernant le rôle des assistantes maternelles ?
Cyrille Godfroy :
Cela me met en colère parce qu’avec de tels propos, la commission véhicule des représentations stigmatisantes et d’un autre temps. Les assistants maternels sont de plus en plus sensibilisés, comme tous les professionnels de la petite enfance, à l’usage des écrans. Dans leur pratique professionnelle, ils ont l’occasion de fréquenter des lieux comme les Relais petite enfance, qui mènent des actions de prévention sur beaucoup de choses, dont les écrans. Dire qu’une assistante maternelle, grosso modo, accueille des enfants dans sa maison, les fout devant la télé et ne s’en occupe pas, c’est très loin de la réalité.
Ce qui est choquant, c’est que la commission n’étaye son propos à l’appui d’aucun chiffre. Notre syndicat a donc interpellé Amine Benyamina, psychiatre et coprésident de cette commission pour lui demander, justement, quelles étaient ses sources, mais à cette heure, nous n’avons pas de réponse. Parce que si des données précises permettent de montrer qu’il y a ces problèmes-là, notre organisation syndicale prendra le sujet à bras-le-corps et travaillera à ce que les professionnels de la petite enfance en général, et de l’accueil individuel en particulier, puissent avoir les moyens de faire autrement. Mais s’il s’agit, comme il semblerait, d’une pure image d’Épinal qui continue à être véhiculée par une commission qui se veut experte et sérieuse, cela pose un vrai problème. D’autant qu’à côté de cela, il y a des choses très intéressantes et importantes dans ce rapport.

Lesquelles ?
C.G. :
Prendre à bras-le-corps le sujet de l’usage des écrans des tout-petits ou des plus grands pour parler de sa nocivité dans le développement de l’enfant, c’est très important. Nous espérons qu’il découlera de ce travail une prise de conscience collective et des moyens alloués pour faire de la prévention au plus grand nombre. Car nous sommes tous concernés, à tous les niveaux de la société.
Ce qui est regrettable, c’est de pointer du doigt les professionnels de la petite enfance, qui exercent un métier difficile, largement stigmatisé depuis les révélations sur certains graves dysfonctionnements dans les crèches ces dernières années. Or, je rappelle que dans l’accueil individuel autant que dans le collectif, le secteur est en pénurie et la pyramide des âges n’est pas du tout favorable, avec des départs massifs à la retraite et peu de nouvelles vocations pour des métiers difficiles et dévalorisés. Il est de la responsabilité collective de ne pas négliger ces métiers très majoritairement féminins qui prennent en charge les tout-petits, qui sont le futur de la société.

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Concernant la proposition de loi des députés, son premier volet entend faire ajouter aux conditions de l’agrément la restriction de l’usage des écrans en présence des enfants accueillis d’une part (pour éviter que les assistantes maternelles ne consultent trop leur téléphone, par exemple), et l’interdiction de leur exposition à ceux-ci d’autre part. Qu’en pensez-vous ?
C.G. :
C’est ubuesque. Avant d’éventuellement parler de répression – parce que c’est quand même bien de ça qu’il s’agit –, il faudrait agir sur le côté prévention et peut-être aussi sur le côté valorisation de ces métiers. Ces élus posent un constat qui n’est pas du tout étayé et font une petite proposition de loi qui fait son effet médiatique. Mais qui va faire les contrôles et comment ? On sait très bien que les services de la PMI [Protection maternelle et infantile, ndlr], dans lesquels travaillent des personnes habilitées [des assistant·es sociaux·ales] à vérifier le travail des assistants maternels à leur domicile, n’ont pas déjà les moyens de mener à bien leurs missions actuelles. Tout cela me semble hors-sol.

Dans cette même proposition de loi, il y a un volet autour de la prévention, en ajoutant à la formation obligatoire des assistantes maternelles ces notions de nocivité de l’exposition des plus jeunes aux écrans. Est-ce que pour vous, cela va dans le bon sens ?
C.G. :
Oui, ça va dans le bon sens, parce que la sensibilisation sera toujours importante, mais je pense que c’est aussi dénigrer le boulot des formateurs (à destination des personnels de crèches comme des assistants maternels), qui le font déjà avec assiduité, car cela fait partie du métier d’être attaché à ces choses-là, comme à la prévention envers tout ce qui peut relever de la maltraitance.
Le souci est que la formation initiale a lieu en seulement cent vingt heures. C’est déjà très court et à force d’ajouter des contenus sans augmenter le temps de formation, on va arriver à ce que ça soit juste évoqué, survolé, pas forcément travaillé en profondeur. Il faut pouvoir quand même un peu développer les choses pour que ça ait du sens. Ici, on se heurte donc à la question du financement de ces formations.

La formation initiale étant très courte, ces sujets sont plus abordés dans les temps de formation continue ?
C.G. :
Oui, c’est plus le rôle des Relais petits enfance, qui accueillent les assistantes maternelles et tous les professionnels de l’accueil individuel. Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion, il y a cinq-six ans, de m’occuper d’un Relais petite enfance, où des assistantes maternelles utilisaient leur téléphone pour prendre des photos des enfants pendant les ateliers pour pouvoir montrer aux parents ce qui avait été fait. Cela partait évidemment d’un bon sentiment, d’une conscience professionnelle, même, mais au bout d’un moment, on se retrouvait avec autant de téléphones que d’enfants. Nous avons donc organisé les choses pour qu’une seule personne prenne les photos et les partage ensuite avec les autres. Nous sommes allés plus loin par la suite, en réalisant un travail de sensibilisation dans un collège, à l’appui de l’association Les Tisserands du web, qui y a organisé une conférence.
Cette prévention autour d’un usage raisonné peut se faire au quotidien dans les activités que les relais proposent au fil de l’eau. La prévention, c’est un exercice de répétition, exactement comme dans l’éducation : les choses ne se règlent pas en une fois, d’un coup de baguette magique. C’est pourquoi cette sensibilisation du quotidien est sans doute plus efficace qu’une réunion pour une grande leçon sur l’usage des écrans.

Et vis-à-vis des parents ?
C.G. :
En tant que professionnels de la petite enfance, nous avons un rôle à jouer. Il faut faire acte de pédagogie – j’emploie ce mot pour ne pas me retrouver dans la même posture stigmatisante de la commission – auprès des parents. Nous observons parfois des réflexes d’éducation qu’il faut rectifier, comme lorsqu’un enfant déjà en capacité de verbaliser explique qu’il a passé des heures devant la télé. Comme on est très sensibilisés, on remarque très rapidement ces parents qui ont besoin de ces outils-là avec leur enfant. Nous devons intervenir en proposant, par exemple, des alternatives sous forme de jouet à un enfant de 3 ans venu, le téléphone de son parent à la main, pour aller chercher le petit dernier à la crèche. Mais pour mener ce travail de sensibilisation vis-à-vis du parent, il faut un lien de confiance et du tact.

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