Être une personne issue d’une minorité sur les applications de rencontre implique très régulièrement de subir une fétichisation, directe ou plus insidieuse, de la part des autres utilisateur·trices. De quoi perdre son individualité, engluée dans des stéréotypes avilissants.
« Sur les applications de rencontre, neuf fois sur dix on me fétichise. On me demande quelle est mon origine. On me dit que si je suis Algérienne c’est bien. On me traite de “lionne”. On me glisse qu’on aime bien mes cheveux et qu’on aimerait me les tirer lors d’une levrette… » Lina*, 27 ans, utilise Tinder depuis ses 19–20 ans. L’excitation qu’elle ressentait au début de ses explorations sur ce terrain de jeu laisse aujourd’hui place à de la colère et de la lassitude, face aux mêmes messages et comportements charriant leur lot de stéréotypes et de préjugés.
Comme elle, de nombreuses personnes issues des minorités, le plus souvent racisées ou transgenres, se heurtent, sur ces lieux de drague numériques, à des interactions nourrissant un phénomène de fétichisation. Au point que des comptes Instagram répertorient désormais ces messages, envoyés à des hommes racisés sur Grindr, une application de rencontre pour hommes gays, ou à des femmes racisées sur tous les sites de rencontre.
« La fétichisation correspond à transformer un individu en généralité, explique Marc Jahjah, maître de conférences à l’Université de Nantes, dont les récents travaux, bientôt publiés, portent sur ce phénomène. On va se concentrer sur des éléments en particulier, comme une couleur de peau ou des cheveux, afin de les associer pour faire d’une personne un représentant d’une catégorie et l’érotiser. On va considérer que l’exemplaire de la catégorie, la personne à qui on s’adresse, renferme l’ensemble des propriétés de la catégorie. C’est-à-dire qu’un homme noir va être un emblème de la catégorie des noirs et va comprendre toutes les propriétés sexuelles et érotiques qu’on peut leur prêter : il va être exotique, violent, dominateur ou encore viril. »
Nier l’individualité
Pour Marc Jahjah, ce ne sont pas les préjugés véhiculés par ces messages qui posent problème en soi, car tout le monde en a, y compris lui. « Mais lorsque les stéréotypes ne permettent plus de descendre en particularité, et nient l’individualité d’une personne, là ça pose problème, poursuit-il. Or, sur les applications de rencontre, les interactions que nous avons permettent rarement d’explorer toutes les facettes d’une personne. »
La plupart des utilisateur·trices vont, de plus, systématiquement minimiser ce qu’iels font : « Quand on explique à ces personnes que ce qu’elles disent est problématique, par exemple lorsqu’elles déclarent ne rencontrer que des noirs ou des Arabes, elles renvoient toujours cela au fait qu’il s’agit d’une préférence ou d’un goût. » Car à cette fétichisation première s’ensuit un chaînage d’actions et d’interactions, qui vont être proposé·es à l’individu, notamment dans la pratique sexuelle, l’empêchant d’exprimer son individualité. « En fait, on va toujours demander à la personne de jouer un rôle spécifique, de rentrer en interaction de manière spécifique et de ne jamais sortir du script qui a été défini », poursuit-il.
La fétichisation, quand elle est raciale, est par ailleurs une[…]