Excitation, culpabilité, découverte de nouveaux imaginaires érotiques… Cette semaine Causette plonge dans l’intimité des femmes et leur rapport à la pornographie. Épisode 2 de notre série : ce que la consommation de pornographie fait à la vie sexuelle des femmes.
Lire l’épisode 1 I Les femmes et le porno – Ep 1/4 – “Une fille qui regarde du porno, c’est une pute”
Il y a peu, Lisa, 33 ans, s’est rendu compte que mater un porno sur un tube était devenu la condition sine qua non pour atteindre l’orgasme. La jeune femme s’est aussi aperçue qu’elle s’était mise à reproduire dans sa vie sexuelle des attitudes qui pourraient s’apparenter à du porno. “La façon de crier très fort ou de se placer dans une position certes inconfortable, mais où je suis à mon avantage physiquement, confie la jeune femme à Causette. J’avais aussi adopté une position de soumission par rapport à mon partenaire, je n’étais pas centrée sur ma jouissance mais sur la sienne.”
Même son de cloche du côté de Suzanne*, 28 ans. “Avant, il fallait absolument sucer le mec avec qui je couchais, je me disais que j’aimais ça. Mais aujourd’hui, je me demande si je n’aimais pas ça parce que je faisais comme sur les vidéos que je regardais”, se questionne-t-elle. Comme Suzanne, Causette s’interroge également. En tant que femme, notre consommation de pornographie mainstream a‑t-elle un impact sur notre vie sexuelle ? Et si l’on aime regarder des vidéos, dont la majorité véhicule une image de la femme soumise, aura-t-on davantage tendance à adopter cette position dans notre vie intime ?
Étrangement, cela n’avait jamais été étudié avant le sondage de l’Ifop réalisé à l’automne pour le site MonPetitVPN – un comparateur de réseaux privés virtuels conçu pour protéger son activité en ligne. Publié alors que l’Assemblée nationale débat sur le projet de loi visant à sécuriser l’espace numérique – et donc empêcher l’accès des mineur·es aux sites, le sondage porte sur les impacts négatifs de la consommation de contenus pornographiques.
Lire aussi I Accès des mineur·es aux sites pornos : on vous explique les enjeux du projet de loi
Largement repris dans la presse, il relève que parmi les 3 014 personnes de 18 ans et plus interrogées, une femme sur deux affirme qu’elle a été initiée contre son gré “à des pratiques sexuelles répandues dans la culture pornographique”. Et près d’un homme sur quatre (22 %) admet avoir déjà effectué une pratique sexuelle sans prendre en compte le consentement de sa partenaire. Un chiffre qui passe à un tiers (34 %) des hommes lorsque ceux-ci admettent avoir une consommation de porno intense ou précoce. Des chiffres qui confirment alors les conclusions des rapports accablants du Sénat et du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) publiés respectivement en juin et en septembre 2023. Selon ces derniers, les vidéos pornographiques banalisent les violences psychologiques et physiques subies par les femmes dans le milieu. Pire, l’industrie pornographique ferait le lit des violences sexistes et sexuelles dans notre société.
Deux rapports décriés par nombre de professionnel·les du secteur et d’universitaires, les accusant de traiter le porno “comme un bouc émissaire”. Parmi eux·elles, Ludi Demol Defe, chercheuse en science de l’information et de la communication à l’Université Paris‑8, pour qui il est difficile d’établir un lien de causalité direct et immédiat entre la consommation et le comportement. “Il faut savoir qu’un média n’a pas de conséquence directe sur une personne”, rappelle-t-elle en préambule auprès de Causette. “C’est évident que la pornographie peut être sexiste et violente, mais l’histoire de la princesse qui offre son cœur et son corps en échange de la force et du courage du preux chevalier n’est pas nouvelle”, ajoute-t-elle citant en exemple le cas du baiser donné par Han Solo à Leia sans son consentement dans Star Wars ou de ceux donnés par les princes dans Blanche-Neige ou La Belle au bois dormant. “La question de non-consentement est présente dans 95 % des productions culturelles, estime la chercheuse. S’attarder uniquement sur la pornographie, c’est donc passer à côté du problème pour moi.”
La place du fantasme
Reste que comme Suzanne, Clémentine* se questionne également sur les effets du porno sur sa vie sexuelle. “J’ai l’impression que depuis que je regarde beaucoup de vidéos pornographiques qu’on peut qualifier de ‘trash’ comme des ‘gangbang’, je me mets davantage dans une position de soumission dans mes relations sexuelles, réagit la jeune femme de 29 ans. Je me demande souvent s’il y a un lien.”
Sur cette crainte, la sexologue féministe Lucie Groussin se veut rassurante. “L’ère du porno est relativement récente alors que les jeux de domination ont toujours existé dans l’histoire de la sexualité, et ce, bien avant l’arrivée de la pornographie, rappelle-t-elle à Causette. On peut très bien n’avoir jamais regardé de porno et avoir quand même envie de jeux domination dans ses relations sexuelles.”
A contrario, pour certaines femmes, le porno s’est révélé comme un vecteur dans le développement d’une sexualité féminine libre. C’est le cas de Louise*, 31 ans. “Ça m’a aidé à connaître les fantasmes que j’aimais. Au début, je regardais un peu n’importe quoi, je cliquais sur n’importe quelle vidéo et puis au fil du temps, j’ai compris que ce qui m’attirait, c’était les scénarios bien ficelés genre le plombier qui vient réparer une fuite”, lâche-t-elle en riant. Elle confie à Causette avoir d’ailleurs reproduit ce fantasme avec son compagnon. Mais que Clémentine se rassure, ce n’est pas parce que vous fantasmez sur les “gangbang” que vous allez en faire un la semaine prochaine, tempère Lucie Groussin.
Cerveau “pornifié” ?
Au-delà de montrer que le porno serait un facteur de violences sexuelles, le sondage de l’Ifop pointe que la consommation régulière de porno affecterait la perception du consentement des femmes. En somme, plus elles consommeraient elles-mêmes de la pornographie, plus leur cerveau serait “pornifié”. Celles-ci auraient alors tendance à minimiser le caractère violent de ces pratiques sexuelles et donc à “brouiller” leur notion de consentement.
Pour Carmina, c’est clair, “il n’y a pas de fondement scientifique à ce sondage”. “Ça fait longtemps qu’on accuse le porno d’être responsable des violences sexuelles et sexistes, rappelle la réalisatrice de films alternatifs, fondatrice du studio de production Carré Rose films. Le problème, c’est qu’on considère le porno comme un objet isolé, comme si c’était un truc à part. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Notre société tout entière est ancrée dans la culture du viol. Quand on regarde autour de nous, à la télévision, au cinéma, dans les chansons, il y a des violences sexistes et sexuelles partout et ce n’est pas le porno, le coupable de tout cela.” “On ne se fait pas violer parce qu’on a un cerveau embrouillé par le porno, martèle de son côté Lucie Groussin. On se fait violer par une personne qui nous viole.”
D’autant que, pour elle, ce type de sondage et d’accusations contribuerait à culpabiliser encore plus les femmes à regarder du porno mainstream. À lire la plupart des témoignages reçus par Causette, les femmes n’ont d’ailleurs pas besoin de ça pour ressentir une culpabilité. Pour une majorité d’entre elles, mater un porno s’apparente de plus en plus à une véritable torture intérieure, tiraillées entre l’excitation et le malaise de regarder des vidéos allant à l’encontre de tous leurs idéaux moraux et féministes. Une problématique sociétale que nous aborderons dans l’épisode 3 de notre série.
* Les prénoms ont été modifiés.