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© Jan Kopriva / Unsplash

Les femmes et le por­no – Ep 2/​4 – Ce que le por­no fait à la sexua­li­té des femmes

Excitation, culpa­bi­li­té, décou­verte de nou­veaux ima­gi­naires éro­tiques… Cette semaine Causette plonge dans l’intimité des femmes et leur rap­port à la por­no­gra­phie. Épisode 2 de notre série : ce que la consom­ma­tion de por­no­gra­phie fait à la vie sexuelle des femmes. 

Lire l’épisode 1 I Les femmes et le por­no – Ep 1/​4 – “Une fille qui regarde du por­no, c’est une pute”

Il y a peu, Lisa, 33 ans, s’est ren­du compte que mater un por­no sur un tube était deve­nu la condi­tion sine qua non pour atteindre l’orgasme. La jeune femme s’est aus­si aper­çue qu’elle s’était mise à repro­duire dans sa vie sexuelle des atti­tudes qui pour­raient s’apparenter à du por­no. “La façon de crier très fort ou de se pla­cer dans une posi­tion certes incon­for­table, mais où je suis à mon avan­tage phy­si­que­ment, confie la jeune femme à Causette. J’avais aus­si adop­té une posi­tion de sou­mis­sion par rap­port à mon par­te­naire, je n’étais pas cen­trée sur ma jouis­sance mais sur la sienne.”

Même son de cloche du côté de Suzanne*, 28 ans. “Avant, il fal­lait abso­lu­ment sucer le mec avec qui je cou­chais, je me disais que j’aimais ça. Mais aujourd’hui, je me demande si je n’aimais pas ça parce que je fai­sais comme sur les vidéos que je regar­dais”, se questionne-​t-​elle. Comme Suzanne, Causette s’interroge éga­le­ment. En tant que femme, notre consom­ma­tion de por­no­gra­phie mains­tream a‑t-​elle un impact sur notre vie sexuelle ? Et si l’on aime regar­der des vidéos, dont la majo­ri­té véhi­cule une image de la femme sou­mise, aura-​t-​on davan­tage ten­dance à adop­ter cette posi­tion dans notre vie intime ? 

Étrangement, cela n’avait jamais été étu­dié avant le son­dage de l’Ifop réa­li­sé à l’automne pour le site MonPetitVPN – un com­pa­ra­teur de réseaux pri­vés vir­tuels conçu pour pro­té­ger son acti­vi­té en ligne. Publié alors que l’Assemblée natio­nale débat sur le pro­jet de loi visant à sécu­ri­ser l’espace numé­rique – et donc empê­cher l’accès des mineur·es aux sites, le son­dage porte sur les impacts néga­tifs de la consom­ma­tion de conte­nus pornographiques.

Lire aus­si I Accès des mineur·es aux sites por­nos : on vous explique les enjeux du pro­jet de loi 

Largement repris dans la presse, il relève que par­mi les 3 014 per­sonnes de 18 ans et plus inter­ro­gées, une femme sur deux affirme qu’elle a été ini­tiée contre son gré “à des pra­tiques sexuelles répan­dues dans la culture por­no­gra­phique”. Et près d’un homme sur quatre (22 %) admet avoir déjà effec­tué une pra­tique sexuelle sans prendre en compte le consen­te­ment de sa par­te­naire. Un chiffre qui passe à un tiers (34 %) des hommes lorsque ceux-​ci admettent avoir une consom­ma­tion de por­no intense ou pré­coce. Des chiffres qui confirment alors les conclu­sions des rap­ports acca­blants du Sénat et du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) publiés res­pec­ti­ve­ment en juin et en sep­tembre 2023. Selon ces der­niers, les vidéos por­no­gra­phiques bana­lisent les vio­lences psy­cho­lo­giques et phy­siques subies par les femmes dans le milieu. Pire, l’industrie por­no­gra­phique ferait le lit des vio­lences sexistes et sexuelles dans notre société. 

Deux rap­ports décriés par nombre de professionnel·les du sec­teur et d’universitaires, les accu­sant de trai­ter le por­no “comme un bouc émis­saire”. Parmi eux·elles, Ludi Demol Defe, cher­cheuse en science de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion à l’Université Paris‑8, pour qui il est dif­fi­cile d’établir un lien de cau­sa­li­té direct et immé­diat entre la consom­ma­tion et le com­por­te­ment. “Il faut savoir qu’un média n’a pas de consé­quence directe sur une per­sonne”, rappelle-​t-​elle en pré­am­bule auprès de Causette. “C’est évident que la por­no­gra­phie peut être sexiste et vio­lente, mais l’histoire de la prin­cesse qui offre son cœur et son corps en échange de la force et du cou­rage du preux che­va­lier n’est pas nou­velle”, ajoute-​t-​elle citant en exemple le cas du bai­ser don­né par Han Solo à Leia sans son consen­te­ment dans Star Wars ou de ceux don­nés par les princes dans Blanche-​Neige ou La Belle au bois dor­mant. “La ques­tion de non-​consentement est pré­sente dans 95 % des pro­duc­tions cultu­relles, estime la cher­cheuse. S’attarder uni­que­ment sur la por­no­gra­phie, c’est donc pas­ser à côté du pro­blème pour moi.”

La place du fantasme

Reste que comme Suzanne, Clémentine* se ques­tionne éga­le­ment sur les effets du por­no sur sa vie sexuelle. “J’ai l’impression que depuis que je regarde beau­coup de vidéos por­no­gra­phiques qu’on peut qua­li­fier de ‘trash’ comme des ‘gang­bang’, je me mets davan­tage dans une posi­tion de sou­mis­sion dans mes rela­tions sexuelles, réagit la jeune femme de 29 ans. Je me demande sou­vent s’il y a un lien.”

Sur cette crainte, la sexo­logue fémi­niste Lucie Groussin se veut ras­su­rante. “L’ère du por­no est rela­ti­ve­ment récente alors que les jeux de domi­na­tion ont tou­jours exis­té dans l’histoire de la sexua­li­té, et ce, bien avant l’arrivée de la por­no­gra­phie, rappelle-​t-​elle à Causette. On peut très bien n’avoir jamais regar­dé de por­no et avoir quand même envie de jeux domi­na­tion dans ses rela­tions sexuelles.”

A contra­rio, pour cer­taines femmes, le por­no s’est révé­lé comme un vec­teur dans le déve­lop­pe­ment d’une sexua­li­té fémi­nine libre. C’est le cas de Louise*, 31 ans. “Ça m’a aidé à connaître les fan­tasmes que j’aimais. Au début, je regar­dais un peu n’importe quoi, je cli­quais sur n’importe quelle vidéo et puis au fil du temps, j’ai com­pris que ce qui m’attirait, c’était les scé­na­rios bien fice­lés genre le plom­bier qui vient répa­rer une fuite”, lâche-​t-​elle en riant. Elle confie à Causette avoir d’ailleurs repro­duit ce fan­tasme avec son com­pa­gnon. Mais que Clémentine se ras­sure, ce n’est pas parce que vous fan­tas­mez sur les “gang­bang” que vous allez en faire un la semaine pro­chaine, tem­père Lucie Groussin.

Cerveau “por­ni­fié” ?

Au-​delà de mon­trer que le por­no serait un fac­teur de vio­lences sexuelles, le son­dage de l’Ifop pointe que la consom­ma­tion régu­lière de por­no affec­te­rait la per­cep­tion du consen­te­ment des femmes. En somme, plus elles consom­me­raient elles-​mêmes de la por­no­gra­phie, plus leur cer­veau serait “por­ni­fié”. Celles-​ci auraient alors ten­dance à mini­mi­ser le carac­tère violent de ces pra­tiques sexuelles et donc à “brouiller” leur notion de consentement.

Pour Carmina, c’est clair, “il n’y a pas de fon­de­ment scien­ti­fique à ce son­dage”. “Ça fait long­temps qu’on accuse le por­no d’être res­pon­sable des vio­lences sexuelles et sexistes, rap­pelle la réa­li­sa­trice de films alter­na­tifs, fon­da­trice du stu­dio de pro­duc­tion Carré Rose films. Le pro­blème, c’est qu’on consi­dère le por­no comme un objet iso­lé, comme si c’était un truc à part. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Notre socié­té tout entière est ancrée dans la culture du viol. Quand on regarde autour de nous, à la télé­vi­sion, au ciné­ma, dans les chan­sons, il y a des vio­lences sexistes et sexuelles par­tout et ce n’est pas le por­no, le cou­pable de tout cela.” “On ne se fait pas vio­ler parce qu’on a un cer­veau embrouillé par le por­no, mar­tèle de son côté Lucie Groussin. On se fait vio­ler par une per­sonne qui nous viole.”

D’autant que, pour elle, ce type de son­dage et d’accusations contri­bue­rait à culpa­bi­li­ser encore plus les femmes à regar­der du por­no mains­tream. À lire la plu­part des témoi­gnages reçus par Causette, les femmes n’ont d’ailleurs pas besoin de ça pour res­sen­tir une culpa­bi­li­té. Pour une majo­ri­té d’entre elles, mater un por­no s’apparente de plus en plus à une véri­table tor­ture inté­rieure, tiraillées entre l’excitation et le malaise de regar­der des vidéos allant à l’encontre de tous leurs idéaux moraux et fémi­nistes. Une pro­blé­ma­tique socié­tale que nous abor­de­rons dans l’épisode 3 de notre série. 

* Les pré­noms ont été modifiés.

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