Excitation, culpabilité, découverte de nouveaux imaginaires érotiques… cette semaine Causette plonge dans l’intimité des femmes et leur rapport à la pornographie. Dernier épisode de notre série : la recherche d’une pornographie alternative pour en finir avec la sexualité hétéronormée véhiculée par le porno mainstream.
Lire les autres épisodes :
Ep 3 – La culpabilité – “Je me sens coincée entre mes fantasmes et mes convictions féministes”
Ep 2 – Les conséquences – Ce que le porno fait à la sexualité des femmes
Ep 1 – Le tabou – « Une fille qui regarde du porno, c’est une pute »
Cela va bientôt faire six mois que Suzanne*, 28 ans, n’a pas maté une seule vidéo pornographique. Un record pour la jeune femme, qui en consommait assez régulièrement depuis ses 22 ans. Une résolution, surtout, prise cet été. Alors qu’elle regardait une vidéo de porno “plutôt trash” sur un site gratuit, comme à son habitude, Suzanne voit sur le petit écran de son téléphone, un homme se mettre le doigt dans l’urètre. La scène coupe immédiatement son excitation et Suzanne quitte le site. L’orgasme passera au second plan pour cette fois.
“J’avais pris l’habitude de regarder des vidéos plutôt trash comme des gang bangs, mais après ça, je ne pouvais plus”, raconte-t-elle sans vraiment pouvoir expliquer cette répulsion. Ce qui est certain en revanche, c’est que cette scène, couplée à une prise de conscience de la violence dans l’industrie pornographique révélée par l’affaire French Bukkake, provoque chez elle un électrochoc dans sa façon de consommer de la pornographie. “Aujourd’hui, je ne me verrais plus regarder ce que je regardais avant, avance-t-elle, catégorique. Si je regardais à nouveau du porno, ce ne serait pas le même style. Je préférerais des trucs où je peux m’identifier à la meuf.” Pour Suzanne, “les vidéos ‘bim bam boom dans la chatte’, c’est terminé.”
Porno éthique, porno inclusif, porno féministe… Devant la remise en question de la pornographie mainstream, elles sont nombreuses, les féministes de la quatrième vague comme Suzanne, à chercher de plus en plus une pornographie alternative, qui ne serait plus faite par et pour les hommes hétérosexuels, véhiculant une sexualité hétéronormée basée sur la sempiternelle pénétration. Quelque chose, qui permettrait d’allier plaisir, consentement des acteur·rices, diversité et inclusivité. “Une pornographie qui redonne un pouvoir à la femme dans son regard et dans sa manière de faire”, résume ainsi la journaliste et autrice spécialiste des questions de représentation des corps et des sexualités, Stéphanie Estournet.
Sortir de l’hétéronormativité
Montrer qu’il existe une alternative à la pornographie mainstream est devenu le credo de Carmina. Celle qui est à la fois productrice, réalisatrice, performeuse, fondatrice du studio de production Carré Rose films et rédactrice en chef du site Le Tag parfait marche depuis sept ans dans les pas de la Suédoise Erika Lust et des Françaises Olympe de G ou Ovidie, pionnières du porno alternatif. “Ça a complètement changé ma vie, raconte Carmina à Causette. On essaie de sortir de l’hétérosexualité, de l’hétéronormativité surtout, en montrant des corps, des sexualités et des identités de genre variées tout en respectant les gens derrière et devant la caméra.”
Mais le porno alternatif a un coût. Depuis son premier long métrage en 2017, Carmina en a réalisé une dizaine, accessibles uniquement sur sa plateforme avec un abonnement mensuel de 12,95 euros. À l’inverse des tubes gratuits, qui brassent chaque année des milliards de dollars, la majorité des plateformes de porno alternatif sont payantes. “C’est le seul moyen pour qu’on puisse continuer à produire”, affirme Carmina.
Payer pour regarder ?
Les femmes sont-elles prêtes pour autant à payer pour consommer du porno ? “Au début, j’avais un public très masculin parce que je viens du milieu de la webcam et que ce public est très masculin, mais j’ai de plus en plus de femmes, de personnes queer et de personnes non binaires qui regardent mes films”, indique-t-elle, sans avoir de chiffres sous la main. La réalisatrice reconnaît toutefois que les hommes sont davantage prêts à payer pour consommer. “Les femmes hésitent encore à payer pour ce genre de service, avance-t-elle. Elles pensent souvent que c’est mal de payer pour du porno et que le travail du sexe est une forme d’exploitation.”
Payer pour mater du porno, c’est pourtant l’objectif que s’est fixé Lisa, 33 ans, cette année. “Je ne gagne pas très bien ma vie, mais j’ai vraiment envie de financer des gens, surtout des femmes, qui font un réel travail sur le bien-être des acteurs”, avance la jeune femme qui souhaite aussi se défaire du porno mainstream. Elle a essayé pour cela l’audioporn, sans vraiment de succès jusqu’à présent. “J’ai trouvé ça pas mal, mais je ne retrouve pas l’effet visuel de la vidéo, je ne l’associe pas encore à un truc hyper excitant”, explique-t-elle.
Enlever l’image, garder le son
Lucie Groussin, sexologue féministe, reçoit dans son cabinet des jeunes femmes comme Suzanne et Lisa qui souhaitent sortir de la pornographie mainstream. Elle leur conseille toujours d’y aller progressivement. “On peut commencer à regarder une vidéo puis arrêter et ne pas attendre d’arriver jusqu’à la jouissance, explique-t-elle à Causette. On peut aussi essayer de s’en passer en allant vers d’autres supports, comme l’audioporn.” C’est le cas de Lucie*, 28 ans, qui s’est mise à l’audioporn en découvrant le podcast érotique Voxxx il y a trois ans. Créé en 2018 par Lélé O, Antoine Bertin et Olympe de G, Voxxx est la première plateforme d’audioporn française toute dédiée “aux clitos audiophiles”. Le podcast – qui possède maintenant son pendant masculin avec Coxxx – n’est désormais plus le seul à chuchoter du sexe à nos oreilles. Le Son du désir, Le Verrou, Chambre 206… Il émerge depuis quelques années des initiatives souvent portées par des femmes, pour des femmes. La majorité d’entre elles fonctionnent aujourd’hui sur un modèle payant, par abonnement, preuve de la difficulté de cohabiter face aux mastodontes du Web.
Au menu de ces nouveaux médiums érotiques ? Des mini-scénarios susurrés au micro, des fantasmes fantasques ou réalistes et surtout, surtout, un imaginaire qui ne repose plus sur une sexualité pénétrative. La plateforme allemande Femtasy propose même, pour une dizaine d’euros par mois, une sélection personnalisée. Sans oublier le petit nouveau, Boxxx, qui permet de créer son propre audio. C’est cette diversité qui a séduit Lucie, qui, à la différence de Suzanne ou de Lisa, n’avait jamais vraiment regardé du porno auparavant. “Au maximum trente fois”, précise-t-elle à Causette. “Je n’ai jamais eu besoin de stimuli visuels pour me masturber, mais depuis que je travaille, mon imaginaire est moins sollicité, je n’ai plus trop le temps de fantasmer comme avant, explique-t-elle à Causette. Le podcast, ça me donne des imaginaires érotiques auxquels je n’aurais pas forcément pensé. C’est moins standardisé que le porno mainstream et le message engagé me plaît aussi.” Elle cite par exemple un épisode de Voxxx dans lequel un homme rencontre une jeune femme dans une manif féministe.
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Selon Les Échos, qui s’est penché sur le business des podcasts érotiques, 90 % des abonné·es étaient des femmes en 2022, avec une majorité de vingtenaires et de trentenaires. Un constat qui pose alors une question : à l’image de Lucie, les femmes seraient-elles plus sensibles à l’audio ? C’est une théorie notamment avancée par Clémentine Monperrus, cofondatrice de l’application audio érotique, Blindher. Selon elle, les femmes auraient moins besoin de représentations visuelles que les hommes. Une “représentation genrée”, juge Stéphanie Estournet. “Ça vient culpabiliser les femmes qui regardent et qui aiment la vidéo”, dénonce-t-elle auprès de Causette tout en constatant quand même une croissance certaine et régulière de la consommation de porno audio chez les femmes.
“L’audioporn peut être considéré comme plus légitime pour les femmes, car on s’expose moins à l’image de la putain, avance la journaliste. C’est moins engageant d’écouter un podcast que de regarder une vidéo sur un site. Mais si on avait montré du beau porno aux femmes, elles regarderaient du beau porno.” C’est d’ailleurs parce qu’elle était blasée par le porno “tradi” que Stéphanie Estournet a fondé CTRL‑X en 2017, un site qui propose des lectures érotiques et pornographiques. “Du porno sur des tubes, j’en ai consommé comme tout le monde et puis, à un moment, ça m’a gonflé, j’ai eu envie d’autre chose, lâche Stéphanie Estournet à Causette. J’avais envie de montrer qu’il est possible de faire quelque chose de beau et de pluriel.”
Prendre son pied
Selon sa cofondatrice, l’auditoire de CTRL‑X serait tout autant masculin que féminin. Et tout comme le porno accessible sur les tubes est tabou pour les femmes, l’audioporn serait tabou pour les hommes. “Les mecs ont moins tendance à le dire, à l’assumer ouvertement ”, observe-t-elle. Stéphanie Estournet a aujourd’hui une collection chez Voxxx qui s’adresse aux femmes plus âgées. “Des femmes qui ont eu une première vie maritale, amoureuse, un peu longue et veulent désormais reprendre leur pied et surtout se renouveler”, précise-t-elle.
“Prendre son pied”. À l’heure de dresser un petit bilan de ces quatre épisodes qui nous ont fait voyager dans les arcanes du porno, n’est-ce finalement pas là l’essentiel ? Qu’il fasse frissonner nos oreilles ou passe par nos rétines, qu’il soit alternatif, féministe ou même mainstream, qu’il soit l’occasion de réfléchir sur l’hétéronormativité et nous fasse repenser nos désirs ou nous permette au contraire de les découvrir : le porno et sa consommation relèvent du choix de chacun·e.