Un nouveau rapport Ifop, dévoilé ce mardi, enregistre un recul sans précédent de l’activité sexuelle des Français·es. Derrière cette abstinence, une évolution de la vision du sexe, notamment chez les femmes.
“Plus d’un quart des jeunes de 18 à 24 ans initiés sexuellement (28 %) admettent ne pas avoir eu de rapport en un an.” Sueur et frémissement. Un nouveau rapport Ifop* réalisé pour l’entreprise de sex-toys Lelo et dévoilé ce mardi envoie valser par la fenêtre les espoirs de “réarmement démographique” d’une nation. L’activité sexuelle des Français·es n’avait plus été aussi basse depuis les années 1970. En quinze ans, la proportion de Français·es ayant eu un rapport au cours des douze derniers mois a ainsi nettement diminué, seul·es 76 % d’entre eux·elles ont couché au moins une fois durant cette période. Cette baisse de régime s’applique aussi à la fréquence hebdomadaire des rapports, 43 % des Français·es disent avoir, en moyenne, un rapport sexuel par semaine, contre 58 % en 2009.
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Quelles sont les raisons d’une telle abstinence ? 1. La résurrection des bagues de pureté façon star Disney Channel des années 2000. 2. L’envie irrépressible de contrarier le président de la République. 3. Aucune des réponses précédentes.
Grève du sexe
La réponse se trouve d’abord dans une vision des femmes de la sexualité ancrée dans l’ère post-#MeToo. L’Ifop affirme ainsi que “dans un contexte marqué par une révolution du rapport au consentement, les Françaises acceptent beaucoup moins de se forcer à faire l’amour qu’il y a quarante ans : 52 % des femmes âgées de 18 à 49 ans déclarent qu’il leur arrive de faire l’amour sans en avoir envie, contre 76 % en 1981”. La tendance serait à moins de sexe, mais aussi donc à du sexe désiré par les deux partenaires. Il aura fallu attendre 2024 pour que moins de la moitié des femmes cessent de se forcer à avoir des rapports sexuels, mais la route est encore longue.
Sans grande surprise, “c’est dans les rangs des femmes les plus féministes (50 % chez les femmes très féministes) que l’expérimentation de cette forme de ‘sexe non consensuel’ est la plus faible”, note encore ce rapport. Dans les sphères féministes françaises, l’abstinence préférée aux diktats sexuels a ainsi notamment été théorisée par l’autrice Ovidie et sa “grève du sexe”, dans son ouvrage La chair est triste hélas.
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Ce rejet du sexe non-consensuel est également observé chez les femmes “les plus éloignées de la religion (49%, contre 58% des religieuses)” et témoigne d’une lente déconstruction du concept de “devoir conjugal”. “Lente”, car de nombreuses femmes déclarent encore ressentir une pression sexuelle au point de se forcer à avoir un rapport. C’est le cas également des hommes, dont 46% affirment avoir déjà fait l’amour sans le désirer.
La situation conjugale et/ou maritale a par ailleurs de moins en moins d’impact sur la vie sexuelle des Français·es : un quart d’entre eux·elles déclarent être en couple mais ne pas ou plus avoir de rapports, tandis qu’un célibataire sur cinq jouit de relations sexuelles occasionnelles, creusant encore le fossé entre conjugalité et sexualité.
Ce rapport de l’Ifop marque également l’avènement des “situationships”, ces relations intimes pas tout à fait de couple mais avec des rapports sexuels réguliers et qui concernent actuellement 4 % des Français·es.
Mieux à faire
Plus largement, ce sondage souligne la tendance des Françaises à accorder moins d’importance au sacro-saint sexe. Aujourd’hui, 62 % d’entre elles accordent de l’importance à la sexualité dans leur vie, soit 20 % de moins qu’en 1996. Elles sont par ailleurs 54 % à pouvoir imaginer une vie de couple sans rapports et 69 % à ne pas vivre difficilement l’absence de relations sexuelles. Ces chiffres sont plus élevés chez les hommes – 75 % accordent de l’importance à la sexualité dans leur vie – pour qui “le sexe reste un enjeu plus crucial”, d’après l’Ifop.
L’asexualité – l’absence constante d’attirance sexuelle pour autrui – devient quant à elle une orientation sexuelle assumée, surtout chez les femmes, dont 15 % se reconnaissent actuellement comme asexuelles. A contrario, plus de 60 % des hommes célibataires et inactifs sexuellement considèrent que cette abstinence est contrainte par un manque d’intérêt de potentiel·les partenaires sexuel·les pour leur personne. “Les hommes se distinguent en avouant que cette absence de sexe tient aussi à leur incapacité à plaire/à trouver des personnes qui auraient envie de faire l’amour avec eux”, élabore le sondage. En guise d’aparté, on notera que la difficulté des hommes à séduire est un thème récurrent des contenus masculinistes que consomment actuellement de plus en plus de jeunes hommes. Leur frustration est ensuite retournée contre les femmes, surtout les féministes, comme l’expliquait à Causette la journaliste Pauline Ferrari en décembre dernier.
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Enfin, selon ce rapport de l’Ifop, le sexe est aujourd’hui concurrencé par d’autres activités, notamment numériques et/ou sexuelles nées de la généralisation du smartphone et du haut débit. De nombreux·euses Français·es (environ 30 %), surtout des jeunes, ont ainsi déjà choisi d’éviter un rapport sexuel pour regarder Netflix, consulter les réseaux sociaux, lire un livre, jouer aux jeux vidéos ou consommer du porno à la place. D’autres encore préfèrent les plaisirs solitaires de la chair, comme la masturbation ou la pornographie. 42 % des hommes de moins de 35 ans déclarent ainsi avoir déjà choisi d’éviter un rapport sexuel pour pouvoir se masturber devant des vidéos porno, contre seulement 23 % de jeunes femmes. Comme quoi, n’en déplaise à celles et ceux qui nous poussent à l’enfantement, l’avenir démographique de la nation se trouverait peut-être aussi entre les mains des mecs.
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- * Étude Ifop pour LELO réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.