Ces dernières années, un certain nombre de thérapeutes commencent à aborder la santé mentale à l’aune du féminisme en France. Mais la pratique se heurte encore à la méconnaissance de la profession et au fait que l’on considère le féminisme comme une conviction et non un champ d’étude scientifique. Pourtant, les patientes l’appellent de leurs vœux.
Il y a dix-sept ans, Suzanne* a entamé une thérapie avec une psychologue spécialisée dans le psychotraumatisme. Elle a alors 19 ans et éprouve le besoin de parler de l’inceste qu’elle a subi, plus jeune, et qu’elle a mis de longues années à révéler. Elle se rend au premier rendez-vous avec sa mère, mais très rapidement, c’est la déconvenue. Suzanne, 36 ans aujourd’hui, se heurte au jugement de sa psychologue. “Elle ne m’a pas adressé la parole et a affirmé à ma mère que ce que je disais était faux, confie-t-elle à Causette. Pour elle, c’était des faux souvenirs fabriqués dans un contexte de conflit puisque mes parents étaient en train de se séparer. Elle a complètement nié mes souffrances, il n’y avait aucun dialogue possible.”
Si pour Suzanne, ce premier rendez-vous a été le dernier, il a laissé des séquelles durables. “Je savais ce que j’avais vécu, mais ses paroles m’ont quand même fait douter, car c’était une professionnelle, se souvient la jeune femme avec amertume. Ça a coupé le dialogue avec ma mère. Ça a rompu des fils qui auraient pu se tisser à ce moment-là.” Nous sommes alors en 2006. Suzanne ne veut plus voir de psychologue. Elle préfère se former seule à la mémoire traumatique pour éviter de nouveaux jugements. Et comme c’est le cas chez beaucoup de victimes de violences sexuelles, lorsque la souffrance ne peut pas être exprimée – et entendue –, c’est alors la douleur physique qui prend le relais. Suzanne se tourne vers des ostéopathes. “Au moins, le corps ne pouvait pas mentir, explique-t-elle. Personne ne pouvait me dire : ‘Vous n’avez pas mal’.”
Replacer les souffrances dans un système patriarcal
Bien plus tard, dans le sillage du mouvement #MeToo, alors que la société semble être prête à entendre la parole des victimes, Suzanne s’ouvre de nouveau. À une amie, cette fois, qui[…]