Dans une vidéo questions/réponses sur leur sexualité diffusée sur YouTube, le couple d’influenceur·euse Thibault Garcia et Jessica Thivenin affirme que Jessica se force parfois à faire l’amour avec Thibault, car en matière de libido, “un mec c’est différent d’une fille”. Une réponse qui illustre la banalisation du viol conjugal.
Lorsqu’il survient dans le huis clos intime qu’est le couple, le viol reste encore dans la zone grise des violences sexistes et sexuelles. Alors que ces dernières s’inscrivent dans le continuum des violences conjugales et qu’un viol sur conjoint·e constitue, depuis plus de trente ans, une circonstance aggravante (passible de vingt ans de prison), ces crimes sont souvent correctionnalisés par la justice et classés sans suite faute de preuve. Ils sont également peu médiatisés et bien souvent banalisés. La faute à une société qui normalise toujours l’idée que de se forcer à avoir un rapport sexuel avec son·sa conjoint·e n’est pas un viol. Puisqu’il y a de l’amour, il y a consentement. Et se forcer un peu pour faire sexuellement plaisir à l’autre est donc OK.
Dernier exemple en date : une vidéo du couple d’influenceur·euses et ex-candidat·es de la télé-réalité Jessica Thivenin et Thibault Garcia, qui aurait pu passer complètement inaperçue si une internaute ne l’avait pas dénoncée sur X. D’abord, les présentations. Jessica et Thibault, en couple depuis sept ans, se sont rencontré·es sur le tournage d’une télé-réalité. Ils vivent aujourd’hui à Dubaï avec leurs deux enfants et mettent en scène sur les réseaux sociaux la moindre parcelle de leur vie privée, si intime soit-elle. C’est dans ce contexte qu’il et elle ont ouvert la chaîne YouTube “Thibault & Jessica” sur laquelle a été publié le 28 avril une vidéo questions/réponses dont le titre, “S*X – ON VOUS DIT TOUT !”, nous met aussitôt dans le bain. Installé sur le lit king size de leur villa à Dubaï, le couple répond sans tabou aux questions de leurs abonné·es sur leur sexualité.
“Combien de fois par mois faites-vous l’amour ?”, “Comment vous entretenez la flamme ?”, “Y a‑t-il vraiment un cap des trois ans ?”, “Ça fait mal de reprendre les rapports après un accouchement ?”… Dans les quinze premières minutes, Jessica et Thibault distillent gentiment leurs petits conseils sexo. Et ça commence plutôt bien. Thibault connaît le clitoris et semble savoir, selon Jessica, où il se trouve. Il dit aussi qu’il fait passer le plaisir de sa compagne avant le sien et qu’en matière de sexe, il n’est vraiment pas égoïste. Compétences que Jessica s’empresse d’ailleurs de confirmer. “Sur 199 fois sur 200”, elle atteint l’orgasme. Bref, leur vie sexuelle ne serait qu’extase et volupté. Les deux nous gratifient même de leurs anecdotes sexuelles les plus insolites, plus gênantes que croustillantes. On apprend par exemple que Thibault Garcia adore faire l’amour sur un bateau, que la dernière fois qu’ils l’ont fait contre un arbre sur une aire d’autoroute, Jessica était vraiment “magnifique”, que Jessica adorerait faire l’amour dans la cabine d’essayage d’un magasin mais qu’il·elle ne peuvent pas, “les Émirats arabes unis étant un pays musulman”, explique-t-elle.
Et puis, au bout de quelques minutes, la vidéo “conseils et souvenirs” commence à franchement déraper lorsque Thibault confie qu’en fait Jessica n’était pas du tout son style physiquement au début et qu’il “s’est adapté à son physique”. Sympa. C’est en apprenant à la connaître qu’il l’a finalement trouvée “trop belle”. ”Et en plus, après, elle s’est améliorée physiquement avec ses chirurgies”, lâche-t-il, pépouze. La misogynie de son mari ne semble pas du tout déranger l’intéressée qui renchérit en riant : “Ah bah ! j’ai tout retapé.” Nickel.
“Je l’ai déjà forcée !”
Vient ensuite la fameuse question : “Comment vous gérez la différence de libido entre vous deux ?” Jessica est intimement convaincue qu’en matière de libido, “un mec c’est différent d’une fille”. Thibault affirme même que c’est comme ça “pour tout le monde”, généralisant donc les propos dangereux qui vont suivre : “Si j’ai trop envie, je lui dis.” Jessica confirme tout naturellement : “Oui, il vient vers moi” avant de lâcher qu’elle se force à faire l’amour avec son mari. “Je vous dis la vérité, le démarrage, il est toujours un peu compliqué parce que flemme d’enclencher la première, mais une fois que la première est enclenchée, je vis ma meilleure vie”, raconte-t-elle face à un Thibault acquiesçant de bon cœur, assumant même complètement qu’“[il] le prend mal” quand elle le repousse. Quelques minutes plus tard, entre deux nouvelles anecdotes insolites, une autre question finit d’enfoncer le clou : “Jess, est-ce que tu t’es déjà ‘forcée’ de passer à l’acte ?”
Le couple répond en chœur : “Oui bien sûr !” Thibault affirmant même, hilare et sans aucun remord : “JJe l’ai déjà forcée !” suscitant les rires de sa compagne, qui explique de nouveau : “Je me suis déjà forcée, mais c’est le démarrage où je me force. Après il arrive toujours à me stimuler et à me mettre bien donc, c’est juste le démarrage qui est compliqué.” Ni Thibault ni Jessica ne semblent mesurer que ces faits pourraient être qualifiés de viols. Et ni l’un ni l’autre ne semblent saisir l’impact que peuvent avoir de tels propos sur un jeune public – depuis sa publication, la vidéo a été vue plus de 326 000 fois et “likée” 11 000 fois. Le couple n’est d’ailleurs pas le premier à véhiculer ce discours. En janvier dernier, Jazz, également influenceuse et ex-candidate de télé-réalité, répondait sur Instagram à une abonnée. Elle voulait des conseils car son mari menaçait de la tromper parce qu’il·elle n’avaient plus de relation sexuelle depuis la naissance de leur enfant. “N’oublie pas, les relations intimes sont très importantes pour l’homme”, conseillait alors l’influenceuse.
Vide juridique
Au-delà du manque de prise de conscience au niveau sociétal, il règne encore un vide juridique autour de la notion d’un prétendu “devoir conjugal”. Elle n’existe certes pas dans le Code civil, mais elle est parfois utilisée dans les interprétations de textes de loi par des juges dans des procédures de divorce, soulignait ainsi auprès de Causette, le Collectif français contre le viol conjugal (CFCVC) en août 2023. “On demande l’abolition définitive du devoir conjugal dans les interprétations de textes de loi afin qu’il ne puisse plus être utilisé comme argument de faute grave lors d’un divorce”, expliquait Ludvilla Mallet, la fondatrice.
Signe que la libération de la parole sur le viol conjugal aurait commencé à faire son chemin depuis #MeToo, les procédures judiciaires pour agression sexuelle ou viol sur conjoint·e ont connu une hausse de 164 % depuis 2017. Une goutte d’eau dans l’océan judiciaire, mais la preuve de la nécessité de poursuivre la lutte contre la normalisation de ces violences. Selon une enquête de l’association Mémoire traumatique et victimologie conduite par Ipsos et publiée en février 2022, un·e Français·e sur cinq considère encore que forcer son·sa conjoint·e à avoir un rapport sexuel n’est pas un viol. À la fin de la vidéo, Thibault Garcia et Jessica Thivenin concluent d’ailleurs en ces mots : “On fait partie des couples normaux, on est juste normaux.” Et c’est bien là toute la problématique du viol conjugal.
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