Récemment, des grands pontes de la tech ont pris une photo de groupe pour immortaliser leur rencontre en Italie. Problème, il y manquait les deux seules femmes du meeting. Ils décident donc de la truquer, avec l’autorisation des deux intéressées. Le plus savoureux dans l’histoire, c’est que ces grands manitous des nouvelles technologies ont fait un montage tout foireux et qu’il suffisait de se pencher un peu sur son écran pour le remarquer. D’ailleurs, Internet s’en est bien rendu compte.
Au final, cette anecdote est-elle vraiment choquante ? Les femmes en question étaient bien présentes à cette réunion. Et elles ont approuvé le montage. Ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est qu’elle est la démonstration d’un certain état du féminisme. On s’est beaucoup battues, ces dernières années, pour une meilleure représentation des femmes. Oui, une photo de dirigeants exclusivement masculine, désormais, ça en choque plus d’un – alors qu’il n’y a pas si longtemps, on ne remarquait même pas l’absence des femmes. C’est une forme de victoire. On s’est également démenées contre les clichés sexistes dans les pubs, dans les séries, dans les films, dans le marketing.
C’est ce qu’on a appelé le combat culturel, au sens très vaste de la représentation. J’ai toujours pensé que ce combat était essentiel. Quand, le lendemain d’un match de foot de l’équipe de France féminine, je vois au square en bas de chez moi des petites filles apporter un ballon et faire une partie (ce qui n’était jamais arrivé), je me dis que la représentation des femmes dans les médias, sur les écrans, a une réelle influence sur la société.
Si l’on reprend l’histoire de la photo truquée, nous avons, d’une certaine manière, emporté une bataille. Les hommes s’autocorrigent. Ils pensent à rendre visibles des femmes. Mais… Et si c’était une arnaque ? Si l’on regarde le réel, et non plus la représentation, seulement 12 % des ingénieures de la Silicon Valley sont des femmes. En moyenne, le patrimoine des hommes est de 15 % supérieur à celui des femmes. Le combat culturel ne porte que sur l’image, or pour atteindre une véritable égalité, il faut changer les conditions de vie réelles des femmes. Le piège qui est devant nous, c’est de voir des photos de réunions mixtes et d’oublier d’aller chercher les statistiques qui démontrent que, derrière les belles images, les inégalités n’ont pas bougé.
Afficher, c’est bien, mais après…
Je sais qu’il est plus facile – et mobilisateur – de dénoncer une pub sexiste que d’aller se colleter à des statistiques, chercher dans les études de l’Insee les écarts de salaire, les écarts de pension de retraite, et essayer d’établir les véritables chiffres de l’inégalité femmes/hommes. Vous me direz que l’un n’empêche pas l’autre. Mais il ne faudrait pas que l’un nous détourne de l’autre. Il ne faudrait pas que nos efforts aboutissent à l’affichage d’une société égalitaire là où, en réalité, les femmes seront toujours moins payées et davantage exploitées. Parce que, dans ce cas, le piège se refermerait sur nous, et nos efforts finiraient par se retourner contre nous.
Ce qu’une société choisit d’afficher, c’est évidemment important, mais cela ne doit pas nous faire oublier ce qu’est réellement la société.