La chronique “Au lance-flammes” de Fiona Schmidt s’intéresse ce mois-ci au regard sexiste que continuent de subir les femmes politiques selon la tenue qu’elles portent.
En mai, il y eut plus polémique encore que la robe de Marilyn Monroe qu’arborait Kim Kardashian au gala du MET, à New York : le tailleur vert vif que portait Roselyne Bachelot lors de l’investiture d’Emmanuel Macron, confirmation que l’adage « En mai, fais ce qu’il te plaît » s’applique aux gens normaux, mais pas aux femmes. Sa tenue valut à la ministre d’être comparée à Elton John en live par d’anciens ministres – Marisol Touraine et Manuel Valls, toujours là où on aimerait qu’il ne soit plus –, et sur les réseaux à la mère de Shrek, au bonhomme Cetelem et autres réflexions misogynes et grossophobes emballées comme des bonbons dans l’habituel papier doré estampillé « blague ». Cette descente de la fashion police dans la sphère politique pourrait être anecdotique si elle n’était pas aussi régulière, aussi ciblée et aussi significative du droit de regard que l’opinion estime avoir sur ce que portent les femmes en général, et les femmes politiques en particulier.
Il y a quelques années, la même Roselyne Bachelot confiait au magazine Elle que lorsqu’elle y est entrée en 1988, l’Assemblée nationale ne comptait que 6 % de femmes et qu’elle avait dû ranger les tenues colorées qu’elle affectionne tant pour que ses pairs et les médias se concentrent sur ses compétences plutôt que sur ses looks. Dans son récent essai S’habiller en politique *, Sophie Lemahieu rapporte que durant son trop bref passage à Matignon, en 1991, Édith Cresson était harcelée par les journalistes, qui allaient jusqu’à se coucher par terre pour photographier ses collants soi-disant filés : « Si elle ne peut maintenir ses vêtements impeccables le temps d’une journée, comment peut-elle diriger le gouvernement ? » avait-on lu dans les journaux. Les talons hauts de Rachida Dati, la coiffure de Nathalie Kosciusko-Morizet, le jean de Cécile Duflot, puis sa fameuse robe à fleurs, sifflée en 2012 à l’Assemblée au sein de laquelle un député avait crié « Allez, déboutonne cette robe ! »… Les exemples sont hélas légion et interrogent : si le sexisme est pratiqué de façon aussi décomplexée par des élus censés incarner l’exemplarité républicaine, notamment en matière d’égalité des genres, comment espérer que leurs administrés se comportent autrement ?
Tant que les femmes seront regardées avant d’être écoutées, tant qu’elles devront adapter leurs tenues et leurs comportements aux regards sexistes, parce que ceux qui les regardent sont incapables de ne pas les discriminer en les sexualisant, alors la mode sera politique. Aux États-Unis, les élues démocrates l’ont d’ailleurs bien compris lorsqu’en 2019 elles assistent au discours de Trump devant le Congrès vêtues de blanc, la couleur des suffragettes ; où lorsqu’en 2021, au gala du MET, Alexandria Ocasio-Cortez arbore une robe floquée « Tax the Rich », designée par une femme racisée et militante.
Mais peut-être le tailleur de Roselyne Bachelot était-il lui aussi politique ? Arborer un total look vert quand on a été ministre de la Culture, et alors que cette couleur porte malheur au théâtre, c’est une façon plutôt punk de prendre sa retraite… et de passer le relais à un·e ministre dont on espère qu’elle ou il aura l’ambition – et les moyens – de faire prospérer la fameuse exception culturelle française.
* S’habiller en politique. Les vêtements des femmes au pouvoir, 1936–2022, de Sophie Lemahieu. Éditions du Musée des Arts décoratifs/École du Louvre, 160 pages.