Danielle Bousquet, présidente de la Fédération nationale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) a choisi Causette pour répondre aux annonces présidentielles concernant la natalité.
TRIBUNE
“Réarmement démographique” : regarder la réalité des mères en face
En France, comme dans d’autres pays d’Europe et du monde, la natalité est en baisse. Le 16 janvier, le président de la République a annoncé vouloir engager un “grand plan de lutte contre l’infertilité” pour contrer ce “tabou” et permettre un “réarmement démographique” de la France. Une injonction nataliste préoccupante pour les associations féministes qui, à l’instar de la Fédération nationale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) accompagnant près de 100 000 femmes par an, travaillent chaque jour auprès des femmes pour défendre et renforcer leur autonomie.
Un risque de régression politique et sociale préoccupant
Se présenter à des élections, obtenir un emploi, ouvrir son propre compte en banque. Avorter. Autant de droits péniblement acquis par les femmes dans une société patriarcale qui a trop longtemps cantonné les femmes à leur fonction reproductive. Il y a quelques jours seulement, le 17 janvier, la France célébrait près de 50 ans de dépénalisation de l’avortement. Le 24 janvier, l’Assemblée nationale a débattu sur le projet de loi constitutionnelle visant à assurer la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. “Un enfant, si je veux, quand je veux.”
Parler de “réarmement démographique”, c’est reprendre la rhétorique des mouvements anti-choix. En plein essor dans plusieurs pays d’Europe, ces mouvements cherchent à contrôler le corps des femmes européennes et à réduire leur place dans la société à leur rôle de mères, tout en stigmatisant les femmes étrangères qui enfanteraient trop, alimentant ainsi des thèses aussi racistes et xénophobes qu’infondées.
En Hongrie par exemple, des mesures de soutien économique aux femmes hongroises de moins de 30 ans qui décideraient d’avoir un enfant afin de relancer la natalité en évitant de recourir à l’immigration ont ainsi été mises en place. Ces politiques à visée natalistes, profondément contraires à l’autonomie des femmes, constituent une régression politique et sociale préoccupante pour les droits des femmes et passent à côté de la réalité des femmes face à la maternité.
Regarder la réalité des mères en face
En l’absence de mesures sociales structurelles visant à soutenir la parentalité et à promouvoir l’égalité des rôles parentaux, les femmes se retrouvent face à des freins qui entravent leurs choix.
En France, les femmes consacrent en moyenne 3 heures 26 de leur journée aux tâches domestiques, contre 2 heures pour les hommes 1). On estime que l’arrivée d’un enfant ajoute 5 heures de travail à une femme et qu’une mère fournit deux fois plus de travail domestique qu’un père, illustrant les conséquences de la parentalité, en l’absence de mesures sociales dédiées, sur la vie professionnelle des femmes.
Les personnes les plus précaires en France sont des femmes. Elles représentent 62 % des personnes payées au smic 2. Selon l’Insee, en France, une famille sur quatre est monoparentale. Dans 82 % des cas, il s’agit d’une femme seule 3.
Dans un contexte économique de hausse de l’inflation et de dégradation du pouvoir d’achat, ce sont les mères isolées qui payent le prix le plus fort. La quasi-totalité des allocataires du RSA majoré sont des femmes (96 %) et plus d’une femme sur deux bénéficiaires du RSA a plus d’un enfant à charge 4. Selon les estimations de la Drees, l’absence de soutien financier de l’État (allocations familiales, RSA…) risquerait de faire plonger 61 % des familles monoparentales de plus d’un enfant sous le seuil de pauvreté.
Charge mentale, précarité, inégalités : voilà le quotidien de nombreuses mères en France. L’exercice d’une parentalité égalitaire et choisie, dans une perspective d’autonomie des femmes, doit devenir une priorité. Il est dramatique qu’en France, celles qui ont fait le choix d’être mères puissent se retrouver dans des situations critiques, sur le plan économique, de la santé ou du logement.
En tant qu’association féministe, premier réseau pour l’accès au droit des femmes depuis cinquante ans en France, il est de notre devoir de le rappeler : les femmes sont libres de leurs choix. Le choix de ne pas être mère, le choix de le devenir dans des conditions économiques et sociales qui permettent de vivre décemment.
- Enquête “Emploi du temps” de l’Insee (2010[↩]
- Enquête de la Dares, “Les emplois du privé rémunérés sur la base du smic”, page 3, 2016.[↩]
- Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses – Insee Focus – 249[↩]
- “Femmes et hommes, l’égalité en question – édition 2022”, Insee, 3 mars 2022[↩]