Avec son organisation “Femmes en action pour la dignité humaine” (“Women in Action for Human Dignity“), la juriste Gratias Kibanja Lukoo bataille pour défendre les droits des femmes en République Démocratique du Congo (RDC). Causette l’a rencontrée alors qu’elle était de passage à Paris.
Dans le cadre de l’initiative “Féministes en Action”, sept militantes issues de différents pays, ont rencontré, la semaine dernière, des responsables politiques français·es afin de témoigner de la réalité du terrain dans leurs pays respectifs. La juriste Gratias Kibanja Lukoo était de celles-là. Il faut dire qu’elle est un pilier de l’émancipation et de la défense des droits des femmes en RDC. En 2012, elle participe à la création de l’organisation “Femmes en action pour la dignité humaine”, légalisée en 2015 et dont elle est toujours aujourd’hui la coordinatrice. Cette initiative a d’abord été lancée par des jeunes filles de la ville de Goma qui se sentaient exclues de la politique nationale. Depuis une décennie, ces militantes luttent contre les violences et le harcèlement sexuel en milieu scolaire qui poussent certaines filles à arrêter leurs études. Pour limiter ces cas d’agressions, elles sensibilisent la population aux questions de santé sexuelle et reproductive.
“Femmes en action pour la dignité humaine” œuvre aussi pour ce que Gratias Kibanja appelle “l’autonomisation de la femme”, afin que celles-ci jouent un rôle politique dans un paysage essentiellement masculin. “Que ce soit dans les zones urbaines ou rurales de RDC et même, dans d’autres pays africains comme le Burundi, nous donnons une expertise et renforçons les compétences des jeunes femmes”, ajoute Gratias Kibanja. Des initiatives victorieuses : en décembre dernier, seize femmes ont obtenu des sièges aux élections municipales de la ville de Goma, située dans la région Est de la RDC, après que les activistes de “Femmes en action pour la dignité humaine” ont mené des démarches en ce sens. Rappelons par ailleurs que Judith Suminwa Tuluka, actuelle Première Ministre, élue ce 1er avril, est la première femme à obtenir un tel poste. Signe que, malgré tout, les choses évoluent.
Des mesures juridiques pour protéger les femmes
Parmi les nombreux faits d’armes de Gratias Kibanja, cette dernière peut aussi se vanter d’avoir coordonné une campagne de plaidoyer pour l’inscription du Protocole de Maputo au Journal Officiel. Adopté en 2003, ce protocole amène les États signataires, membres de l’Union Africaine, à garantir les droits des femmes, leur égalité sociale avec les hommes et la fin des mutilations génitales féminines. En 2006, il a fait l’objet d’une loi autorisant l’adhésion de la RDC à ce protocole. Il aura fallu attendre… 2018 pour qu’elle soit appliquée et inscrite au Journal Officiel. C’est en partie grâce à Gratias Kibanja qui, en 2016, a lancé sa campagne de plaidoyer pour accélérer le processus. Elle se rappelle : “On a mobilisé plus de cinq-cent jeunes pour qu’ils soient ambassadeurs. On voulait intervenir davantage dans les milieux religieux car il y avait eu des mouvements ‘anti-droits’, en partie portés par des femmes de l’Église catholique. Nous avons dû faire face à ces personnes là pour défendre le protocole dans un contexte de guerre où le viol est utilisé comme arme.”
Violences sexuelles en temps de guerre
Malheureusement, la guerre s’est en effet invitée dans les combats de Women in action… Comme le rappelle Gratias Kibanja : dans la région du Nord-Kivu, en proie à de violents conflits armés depuis vingt ans, le viol est utilisé comme une arme de guerre, certaines femmes doivent se prostituer pour se nourrir et les infections sexuellement transmissibles (IST) sont monnaie courante, à l’instar des grossesses non désirées. D’après un article de Médiapart en février, on observe une explosion des cas de violences sexuelles dans les camps de personnes déplacées de l’est du Congo, autour de Goma. “Nous traversons une période qui fait que nous retournons très en arrière par rapport aux avancées significatives que nous avions réalisé en RDC. Les femmes vivent dans des bâches, de petits abris provisoires. Dans cette situation, les femmes et les enfants sont quatre, cinq, voire six fois plus vulnérables que les hommes”, observe-t-elle.
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La sortie du conflit est un enjeu majeur pour la population congolaise. “Ce sont des innocents qui meurent”, martèle Gratias Kibanja. C’est précisément pour alerter sur la nécessité de l’aide internationale qu’elle était de passage de France. “Il est temps que les Nations Unies voient comment arrêter la guerre en RDC et partout dans le monde. Couper l’aide humanitaire c’est remettre les droits humains en cause”, déclare Gratias Kibanja.