Le conflit israélo-palestinien s’est invité dans la marche parisienne contre les violences de genre, ce samedi 25 novembre. Si les drapeaux palestiniens flottaient tout au long de la manifestation, un cortège de féministes juives a marché à l’écart. Elles fustigent le silence des féministes sur les viols et féminicides commis le 7 octobre par le Hamas et regrettent de ne pas avoir été invitées officiellement par les associations féministes.
Depuis l’attaque du mouvement islamiste Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, le conflit israélo-palestinien divise les féministes françaises. La marche organisée ce 25 novembre à Paris par le collectif #NousToutes et d’autres associations féministes et afroféministes, dans le cadre de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, en est l’illustration.
Au départ, place de la Nation (11ème arrondissement), alors que les cortèges prennent place dans l’ordre de marche, des militant·es patientent à deux cents mètres de la foule. Sur une large banderole violette, on peut lire « Violées, mutilées, tuées par le Hamas. Qu’attendez-vous pour condamner et agir ? ». À l’appel d’une démarche citoyenne, deux-cents personnes sont venues dénoncer les atrocités – féminicides et viols – commises par le Hamas le 7 octobre dernier. Elles ont aussi dénoncé « le silence assourdissant et incompréhensible des associations et militantes féministes ».
Cinq semaines de fracture
La fracture n’est pas nouvelle. Le conflit israélo-palestinien divise les féministes françaises depuis longtemps, mais la tension s’est ravivée depuis le 7 octobre. D’un côté, les unes condamnent sans réserve l’attaque du Hamas, qui a fait au moins 1 400 mort·es, 2 400 blessé·es et 240 prisonnier·ères côté israélien – treize otages ont d’ailleurs été libéré·es hier. De l’autre, certaines dénoncent la politique colonialiste de l’État hébreu, dont la riposte a causé, en cinq semaines, au moins 12 300 mort·es parmi la population palestinienne de Gaza, dont 5 350 enfants et plus de 3 250 femmes – d’après le ministère de la Santé du Hamas, dont les affirmations ne peuvent être vérifiées.
Reste que sur les réseaux sociaux, la situation dramatique au Proche-Orient révèle une profonde fracture au sein des sphères féministes françaises. « Nous ne sommes pas officiellement dans l’organisation d’une marche contre les violences faites aux femmes alors que des viols et des féminicides de masse ont été commis il y a à peine six semaines, dénonce Maya, l’une des organisatrices du cortège, à Causette. Je suis féministe depuis toujours et depuis le 7 octobre, je me sens seule, je suis très déçue en tant que militante. Je ne comprends pas le silence des féministes. Le 7 octobre, c’était des viols de guerre. C’était des féminicides. Pourquoi pas un mot ? Pourquoi cette gêne ? J’ai l’impression que les juifs et les juives sont constamment perçus comme l’expression du colonialisme. On est vus comme des oppresseurs. »
La nécessité de nommer les choses
Parmi les manifestant·es, une dizaine de jeunes femmes portent un jogging gris qu’elles ont barbouillé de rouge. Un dress code qui symbolise le kidnapping de Naama Levy, cette militante israélienne retenue en otage par le Hamas. Sur une vidéo, qui a depuis fait le tour des réseaux sociaux, on la voit descendre d’un pick-up à Gaza, vêtue d’un jogging tâché par ce qu’on devine être du sang, ses chevilles cisaillées et les mains liées derrière le dos. Une vidéo qui a fortement marqué les esprits et qui a poussé Julie à porter elle-aussi un jogging gris taché de peinture rouge ce samedi. « On a fait cela pour représenter cette jeune femme, explique-t-elle à Causette. Je suis extrêmement choquée depuis un mois par les atrocités commises par le Hamas mais aussi par l’inaction des associations féministes. On a besoin de nommer les choses. De dire que ce qu’il s’est passé le 7 octobre, ce sont des violences de genre. On se sent seules alors qu’on devrait être toutes ensemble. On se sent seules et en colère. »
Cette colère a poussé d’autres militantes féministes à boycotter tout simplement la marche du 25 novembre. C’est le cas de l’association Paroles de Femmes (membre de la Fédération Nationale Solidarité Femmes). « Le silence lâche des unes, le déni indigne des autres sur les féminicides des femmes juives et chrétiennes en Israël ne sont pas à la hauteur de la lutte féministe », expliquait par exemple la journaliste et présidente de l’association, Olivia Cattan sur X (ex-Twitter).
Place de la Nation, un cordon de CRS entoure le cortège des militant·es juives. Plusieurs gardes du corps aussi. Par mesure de sécurité, ils demandent à ce que les manifestant·es restent bien derrière la large banderole violette. « Beaucoup ne sont pas venus, explique Maya. C’est compréhensible, on a peur de ne pas être bien reçus physiquement, avec la montée des actes antisémites ces dernières semaines, on est omnibulés par la crainte de l’antisémitisme. » Raison pour laquelle le cortège n’ira pas jusqu’au bout de la manifestation. Selon une militante de #NousToutes, la menace de perturbation était d’ailleurs sérieuse. « On nous a fait part hier de menaces d’agressions à l’arme blanche », indique-t-elle. Sur X, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a fait état en fin de journée de menaces « par des militants violents issus notamment du NPA et LFI ».
Une militante de la coordination nationale #NousToutes assure que les organisatrices du cortège n’ont jamais contacté l’inter-orga de la manifestation. “Toutes les personnes qui avaient contactées les organisatrices pour participer à la manif ont eu une réponse positive et une invitation à se placer dans le cortège solidarité internationale”, ajoute-t-elle.
À quelques centaines de mètres des militantes féministes juives, dans le cortège de solidarité internationale en tête de la marche, flottent effectivement une marée de drapeaux palestiniens – au centre de la place de la Nation, un homme vend des drapeaux palestiniens. Au milieu du cortège palestinien, une camionnette où ont été collés les visages de femmes palestiniennes emprisonnées en Israël. Et dans les revendications des militant·es, règne aussi une incompréhension. « On s’émeut des otages israéliens détenus par le Hamas et on a bien raison mais pourquoi on ne s’émeut pas des Palestiniennes, des femmes et des adolescentes, qui sont détenues dans les geôles israéliennes depuis des mois, parfois des années ? demande Salima. On croit que tout a commencé le 7 octobre mais ça fait 70 ans que ça dure, ça fait 70 ans que le peuple palestinien souffre et les femmes sont les premières victimes, on le voit actuellement à Gaza. »
Un rapport de l’ONG Care, publié en octobre, faisait en effet état de la situation humanitaire catastrophique, qui se dégrade de plus en plus, et qui exacerbe le risque de mortalité maternelle et néonatale dans la bande de Gaza, qui subit les bombardements quotidiens de l’armée israélienne. Actuellement, les femmes enceintes n’ont pas accès aux soins prénataux et postnataux dont elles ont besoin, ni aux soins obstétricaux d’urgence si cela est nécessaire pour un accouchement en toute sécurité. Des cas de césariennes d’urgence pratiquées sans anesthésie en raison d’un manque de ressources ont d’ailleurs été signalés. « Je suis venue marcher aujourd’hui pour demander un cessez-le-feu et la paix pour toutes les femmes », lance une autre manifestante à Causette dans la foule.
Demander la paix, c’est le combat d’Hanna Assouline, fondatrice du mouvement féministe et pacifiste Les Guerrières de la paix. C’est pour cette raison qu’elle est d’ailleurs venue manifester ce samedi. « On souhaite lancer un message d’union et de solidarité internationale des femmes », explique-t-elle à Causette. Elle aurait aimé que toutes marchent ensemble, unies contre les violences de genre. « Cette marche montre bien a quel point les féministes peuvent se diviser alors qu’on pense que précisément les femmes sont le ciment qui peut nous permettre de dialoguer et de nous réconcilier », ajoute-t-elle.
La dernière marche féministe à laquelle a participé Hanna Assouline, c’était d’ailleurs en Israël, sur les bords de la mer morte, quelques jours avant l’attaque du 7 octobre. « Marcher avec des Israéliennes et des Palestiniennes nous a montré qu’une union est toujours possible », dit-elle. Pour elle, il en va même de notre responsabilité, à tous et toutes de se faire « les relais de cette union ». « Il faut être capable de nommer et dénoncer les viols et les féminicides qui ont eu lieu comme il faut être dans la solidarité avec les femmes palestiniennes qui subissent actuellement les conséquences de la guerre, ces luttes n’ont absolument pas à être mises en opposition. Les reconnaître toutes, c’est le seul horizon pour les femmes aujourd’hui. »
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