Ce 1er janvier voit la création des cours criminelles départementales, conçues pour juger des crimes passibles de 15 à 20 ans de prison mais sans plus de jurys populaires.
À partir du 1er janvier 2023, les crimes passibles de quinze à vingt ans de réclusion ne sont plus jugés aux assises mais devant des cours criminelles départementales (CCD), à l’essai dans plusieurs départements depuis 2019.
Exit les juré·es, ces citoyen·nes tiré·es au sort : la justice est désormais rendue par cinq magistrat·es professionnel·es. Une révolution. Dans près de 90 % des cas, les
crimes relevant des CCD sont des viols. Aujourd’hui, face aux délais monstres des cours d’assises, de nombreuses victimes acceptent de se tourner, faute de mieux, vers le tribunal correctionnel : les viols sont jugés plus vite, mais requalifiés en délits et minimisés.
Ces tribunaux d’un nouveau genre peuvent-ils éviter la « correctionnalisation » des viols ? Ou créent-ils une justice au rabais, sans s’attaquer au problème de fond, à savoir le manque alarmant de moyens ? On en débat.
Pour : Stéphane Mazars
Député Renaissance et rapporteur du projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire qui généralise les cours criminelles départementales
« Étant moi-même avocat pénaliste, j’avais des appréhensions au lancement de l’expérimentation, d’autant plus que j’ai souvent plaidé aux assises pour des victimes de viols ou de violences intrafamiliales. Mais la mission d’information parlementaire qui a permis d’évaluer ses retombées, dont j’étais le corapporteur, m’a rassuré. J’ai pu suivre des audiences à Versailles et à Pau et me rendre compte par moi-même de leur très bonne tenue. Nous avions mis des conditions pour que les cours criminelles ne deviennent pas une sous-justice criminelle : que l’oralité des débats soit préservée et que son président ait déjà présidé une cour d’assises. Ces points ont été retenus dans la loi qui les généralise.
L’intégralité des interlocuteurs auditionnés au cours de ma mission, y compris les avocats de victimes, nous a fait part de conséquences positives. La première, ce sont les délais réduits pour avoir une audience. Cela permet d’obtenir un jugement, et donc la reconnaissance du statut de victime, beaucoup plus rapidement. On sait que le processus de réparation commence souvent par là. Aujourd’hui, l’embouteillage devant la cour d’assises est tel que les délais d’attente peuvent atteindre quarante mois. C’est ce qui pousse les plaignantes à accepter la correctionnalisation des viols.
Pour l’avoir vécu en tant qu’avocat, je peux vous assurer que ce n’est satisfaisant pour personne de passer l’après-midi au tribunal avec une cliente pour que son dossier soit jugé entre un trafiquant de stupéfiants et un vol à main armée… Avec les cours criminelles, on va plus vite, tout en préservant des conditions très proches de celles des assises : on reconnaît que la plaignante a été victime des faits parmi les plus graves, on prend le temps de l’écouter longuement pour juger son affaire, dans une salle qui lui est consacrée. Les audiences peuvent aussi s’avérer moins traumatisantes face à cinq magistrats professionnels que devant un jury populaire.
Aux assises, certaines plaignantes appréhendent de devoir affronter le regard des jurés. Les cours criminelles offrent un compromis acceptable et les victimes gardent la possibilité de faire appel devant une cour d’assises. »
Contre : Laure Heinich
Avocate pénaliste
« Cette réforme n’est menée que pour des question d’économie et ne concerne qu’un crime : celui de viol. Si l’on voulait réellement lutter contre sa correctionnalisation, on donnerait davantage de moyens à la justice pour que les dossiers soient jugés en temps et en heure. En créant des cours spéciales, on crée une justice d’exception et une forme de “super-correctionnalisation“.
Les cours criminelles font perdre l’apport démocratique des jurys populaires. On peut sans doute discuter de la réelle influence des jurés sur les jugements aujourd’hui, face aux présidents de cours d’assises. Mais ce n’est pas rien de faire entrer chaque année dans les tribunaux une dizaine de milliers de citoyens tirés au sort : ils voient la façon dont la justice se déroule, ils en parlent autour d’eux. C’est d’autant plus important pour les crimes de viol, car beaucoup de gens ne comprennent toujours pas de quoi l’on parle. Quand on passe trois jours à assister à un procès pour un viol qui n’a pas été commis dans la rue ou dans un parking, mais au domicile, on comprend toute sa complexité. Impliquer les jurés remplit aussi une mission d’éducation citoyenne.
C’est aux assises que la justice se déroule le mieux, car on prend encore le temps d’entendre et d’interroger des témoins, des experts. Lors de l’expérimentation, les juges des cours criminelles ont pu auditionner des témoins. Mais est-ce que cela va durer ? Ils sont cinq magistrats aujourd’hui : qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne seront pas bientôt trois ?
Les réformes finissent toujours par suivre la raison initiale pour laquelle elles ont été votées, et celle-ci l’a été pour réduire les coûts. D’autant plus qu’il sera sans doute facile de réunir des cours criminelles à Paris, mais en province, comment cela va-t-il se passer ? Dans un petit tribunal de six magistrats, si l’on mobilise le juge aux affaires familiales pour siéger, ses dossiers se retrouvent à l’arrêt. On ne fait que déplacer l’obstruction de la justice. À l’heure où l’on parle de grande cause nationale pour les violences faites aux femmes, où l’on évoque l’entrée de l’avocate Gisèle Halimi au Panthéon, quelle blague ! C’est réduire à néant le travail accompli pour la prise en considération du viol comme un crime. C’est un gros recul. »