C’est LA date incontournable, le rendez-vous mondial en matière de droits des femmes. Depuis l’instauration par l’ONU de cette Journée internationale en 1977, le 8 mars fait figure de point de repère dans le calendrier des mobilisations féministes. Souvent critiquée pour ses récupérations commerciales ou politiques, la date continue malgré tout de rassembler les femmes du monde entier. Quel est le but de cette journée ? Permet-elle de faire avancer concrètement le combat pour l’égalité ? Ou n’est-elle qu’une vitrine symbolique ?
Bibia Pavard
Historienne, maîtresse de conférences à l’université Paris II-Panthéon-Assas, coautrice de Ne nous libérez pas, on s’en charge*
« Cette journée sert de caisse de résonance aux revendications portées toute l’année. Il existe toute une mythologie autour du choix du 8 mars. La date a longtemps été associée à un mouvement social d’ouvrières à New York en 1857. En fait, il semblerait que la militante socialiste allemande Clara Zetkin, qui initia une Journée internationale des droits des femmes en 1910, l’ait choisie au hasard. C’est ensuite Lénine qui l’a pérennisée en 1921. Les militantes féministes des années 1970 l’ont célébrée à leur tour. Depuis qu’elle a été officiellement reconnue par l’ONU en 1977, elle permet une coordination entre des mouvements de rue contestataires et des actions plus institutionnelles. Il est intéressant d’observer comment les revendications ont évolué au fil des ans. En 1910, elles portaient sur le droit de vote, puis dans les années 1920, sur les conditions de travail, la paix. Dans les années 1970, la dénonciation de l’exploitation des femmes, du machisme ou des violences était au premier plan. Après #MeToo, on a aussi assisté à une réappropriation de ce rendez-vous par les jeunes féministes qui sont venues aux manifestations ce jour-là. »
*Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours. Éd. La découverte, 2020.
Valérie Rey-Robert
Autrice féministe et fondatrice du blog Crêpe Georgette
« C’est symbolique, rien de plus. C’est important que ce genre de journées existe, mais il ne faut pas les surinvestir en se disant qu’il va se passer des choses extraordinaires. En 2008, quand j’ai lancé mon blog, on parlait des droits des femmes une à deux fois par an, sous l’angle du fait divers ou de Marie Trintignant. C’était extrêmement violent, dans ce contexte, de voir tous les journaux faire consciencieusement leur papier sur le sujet le 8 mars et, le lendemain, n’en avoir rien à faire. Ce qui a changé la donne, c’est le travail acharné des féministes au quotidien. Aujourd’hui, le 8 mars peut être l’occasion de piqûres de rappel, mais on se prend parfois des claques, comme l’année dernière avec Libération [le quotidien a publié un témoignage de violeur et l’a mis en Une, ndlr]. J’éprouve malgré tout une affection pour cette journée, car j’ai plein de souvenirs de manifs le 8 mars. Mais j’accorde plus d’importance à la journée du mois de novembre contre les violences faites aux femmes. C’est plus précis. Le 8 mars aborde tellement de sujets que c’est compliqué de faire émerger une parole. »
Lilian Mathieu
Sociologue spécialiste des mouvements sociaux
« Le 8 mars pose des enjeux internes au mouvement féministe. Il permet aux militantes de se réunir. C’est un moment de sociabilité, au cours des commémorations ou manifestations, qui donne l’occasion de cultiver un sentiment commun, d’affirmer une identité féministe unie autour de valeurs très générales. On peut aussi s’évaluer entre organisations : voir l’importance des différents groupes ou leur composition évoluer. Comme le 1er-Mai, c’est un état des lieux des luttes : on voit quels syndicats restent à l’écart du cortège, quelles sont les nouvelles thématiques qui apparaissent dans les slogans ou les discussions. La Marche mondiale des femmes [fondée en 1998 au Québec, ndlr] avait par exemple contribué à établir un lien entre féministes et mouvement altermondialiste. Ce genre de journée est aussi une démonstration de force adressée à un public d’adversaires, qu’il soit patronal ou gouvernemental. On donne un état de la détermination des troupes pour les futures négociations à venir. Cela contribue enfin à cultiver une histoire. Comme les prides, qui s’inscrivent dans l’héritage de Stonewall. Il s’agit de revendiquer la fidélité à une ancienne génération, de rendre hommage aux pionnières, au-delà des controverses. »
Céline Mas
Présidente d’ONU Femmes France
« Le 8 mars est utile pour dresser le bilan des actions de l’année écoulée en matière d’égalité et revendiquer ce qui reste à obtenir. C’est une journée de mobilisation qui permet aux femmes du monde entier de s’exprimer et de faire valoir leurs droits. Il y a une véritable résonance internationale. Une vingtaine de pays parmi lesquels l’Allemagne, la Macédoine, le Burkina Faso ont même choisi d’en faire un jour férié. Bien sûr, certains pays ne reconnaissent pas ce jour de manière officielle, mais cela n’empêche pas les militantes de descendre dans la rue ou de communiquer avec les moyens du bord, au péril de leur vie, dans les régimes autoritaires. Cette année, ONU Femmes va mettre en avant le rôle positif des femmes pour la justice climatique. Selon des rapports de l’ONU ou du Giec *, les femmes sont quatorze fois plus victimes des catastrophes climatiques que les hommes. Cette mise en lumière internationale est essentielle. »
*Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.