Dans son foisonnant Une histoire des produits menstruels, la philosophe Jeanne Guien, spécilisée en histoire industrielle, décortique un « capitalisme menstruel » qui s’est accaparé le savoir-faire des femmes sur la gestion de leurs règles, tout en contribuant à l’idée que ces flux étaient sales et tabou.
Paru en février aux éditions Divergences, Une histoire des produits menstruels raconte l’épopée des produits liés aux règles. En s’intéressant à trois cas d’école – les serviettes jetables, les tampons et les applications de suivi des flux -, la docteure en philosophie et chercheuse Jeanne Guien, spécialisée en philosophie des techniques et en histoire industrielle, analyse l’apparition d’un « capitalisme menstruel ». En s’accaparant le savoir-faire des femmes sur la gestion de leurs règles, ce dernier a largement contribué à l’idée que ces flux étaient sales et tabou, nous dit Jeanne Guien. Entretien.
Causette : De quoi on parle quand on parle de « capitalisme menstruel » ?
Jeanne Guien : On parle des stratégies des entreprises qui ont créé il y a plus d’un siècle et de toute pièce le marché des protections menstruelles puisque à l’origine, ce n’était pas un marché mais des pratiques. Au départ, ce marché ne cible que les catégories de la population très aisées, cela concernait donc peu de gens et on peut pas vraiment parler de changement des habitudes. L’ouverture du marché au grand public se produit dans les années 1920, il y a donc un siècle.
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous intéresser aux serviettes jetables, aux tampons et aux applications mais pas aux culottes de règles ou aux cups ?
J.G. : Il me fallait choisir, le livre aurait risqué d’être trop épais sinon ! J’ai choisi les serviettes et tampons parce que c’est les produits les plus vendus. Les applications, ça m’intéressait parce que les produits menstruels ne sont pas cantonnés aux absorbants mais aussi au suivi du cycle, domaine en pleine croissance, ou encore aux médicaments permettant de gérer la douleur. Ces applis m’intéressent parce qu’elles s’inscrivent dans la lignée des mêmes stratégies marketing que les absorbants : la grande promesse de l’innovation, du progrès par la consommation.
Vous racontez qu’à l’origine, en ce qui concerne les serviettes notamment, cette stratégie marketing s’appuie aussi sur la libération « de la femme », qui ne[…]