Dans une chronique pour le quotidien Libération, le journaliste Luc Le Vaillant a dénoncé, mi-avril, la tenue d’une réunion interdite aux hommes au sein de sa rédaction. Ce genre d’espace non mixte, censé libérer la parole, « participe d’une tentation séparatiste qui torpille la nécessaire entente entre les sexes », écrit-il. La critique rappelle celles émises contre le festival afroféministe Nyansapo, en 2017. Certains ateliers y étaient réservés aux femmes non blanches. Le débat est donc toujours d’actualité : faut-il en passer par la non-mixité pour faire avancer l’égalité ?
<strong>Natacha Polony</strong>
<em>Directrice de la rédaction de</em> Marianne
« Le principe de non-mixité réduit les hommes à un statut de bourreaux dominants et les femmes à celui de victimes dominées. La non-mixité raciale relève de la même logique : obsessionnellement enfermer les individus dans une supposée identité. Ainsi, il nous serait impossible de comprendre l’expérience de l’autre ? Cela remet en cause l’héritage humaniste qu’illustre la phrase du poète latin Térence reprise par Montaigne : <em>“Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”</em> <br> Et puis, osons le dire : la perversité et l’abus de pouvoir sont universellement répandus, et des femmes peuvent les pratiquer entre elles. La “non-mixité” n’implique pas la bienveillance. Ce n’est pas parce que nous sommes femmes ou que nous avons la même couleur de peau que nous vivons la même chose et que nous nous comprenons. <br> Le séparatisme n’a jamais fait progresser l’égalité. C’est le combat politique pour les droits qui le fait. Mais il doit se mener dans une perspective universaliste, c’est-à-dire au nom de notre humanité commune. »
<strong>Fatima El Ouasd</strong>i
<em>Fondatrice de l’association Politiqu’elles</em>
« On ne peut pas atteindre l’égalité en excluant systématiquement les hommes des réflexions féministes, dans la mesure où ils portent une partie du sexisme présent dans la société. Ce n’est pas en restant dans l’entre-soi que l’on pourra changer les choses, même si certains temps non mixtes peuvent être pertinents afin que celles et ceux qui se sentent oppressé·es puissent se confier. Chez Politiqu’elles, nous avons récemment organisé une conférence mixte sur l’intelligence artificielle et le sexisme. Certains développeurs nous ont confié que, depuis, ils prennent en compte les biais sexistes en codant leurs algorithmes. Dans le milieu ultra masculin du numérique, c’est une sacrée avancée. <br> Le plus important n’est donc pas le genre, mais la capacité et la qualité d’écoute. Après tout, même en non-mixité, des femmes peuvent véhiculer des préjugés. Et rappelons que certains hommes sont aussi victimes de sexisme ou d’agressions sexuelles. »
<strong>Rokhaya Diallo</strong>
<strong>Rokhaya Diallo</strong>
« Parler entre femmes, ou entre femmes non blanches, permet d’élaborer nos causes sereinement. En non-mixité, on peut lâcher prise et s’exprimer avec des paires qui nous comprennent et ne pensent pas qu’on exagère. Il est beaucoup plus facile de parler de viol ou des microagressions racistes que l’on subit en l’absence d’hommes ou de personnes qui ne vivent pas le racisme. La non-mixité est aussi fondamentale tout simplement pour être sûre de pouvoir parler, sachant que le temps de parole sur la place publique est occupé aux deux tiers par les hommes… C’est donc une étape nécessaire pour identifier nos problèmes en tant que victimes d’oppression, avant de les défendre dans le débat public.<br> Historiquement, c’est d’ailleurs grâce à des organisations non mixtes qu’ont émergé les grandes causes. D’abord aux États-Unis, dans les années 1960, avec les Black Panthers ou Nation of Islam, qui ont défendu les Noirs et les musulmans. Puis en France, dans les années 1970, avec le Mouvement de libération des femmes. Leurs réunions fermées aux hommes ont permis de définir les revendications féministes au sujet de la contraception, de l’avortement ou des violences sexuelles, pour qu’elles soient ensuite portées par des personnalités comme Simone Veil. »
Son dernier ouvrage : Ne reste pas à ta place ! (éd. Marabout).
<strong>Louis Boyard</strong>
<strong>Louis Boyard</strong>
« On a commencé à organiser des réunions en non-mixité pour les femmes, il y a quelques mois, quand on s’est rendu compte que les personnes aux responsabilités étaient très souvent des hommes. Au début, certain·es, y compris des femmes, y étaient opposé·es. Mais après la première réunion, tout le monde a constaté qu’il en ressortait des choses qu’on n’avait jamais entendues jusque-là. Par exemple, le fait que les mecs prennent beaucoup plus la parole ou que les femmes qui travaillent en équipe avec des hommes prennent une grosse part de la charge mentale…<br> On avait déjà discuté des questions d’égalité tous ensemble, et on n’avait pas avancé. Les échanges en non-mixité se sont révélés extrêmement efficaces pour poser des critiques et générer une vraie prise de conscience. Et ça n’a rien d’excluant puisque, après, on s’est vu·es pour trouver des solutions collectivement. Dans les prochains mois, on va d’ailleurs mettre en place des réunions en non-mixité pour les personnes racisées, car l’UNL est une organisation très blanche. Nous avons besoin de comprendre d’où vient le problème pour qu’on puisse ensuite avancer ensemble. »