Un vent de liberté souffle sur les vulves du monde entier. Avec la libération de la parole post #MeToo, on a vu les langues se délier. Sur les agressions sexuelles subies par les femmes, bien sûr. Mais aussi, dans le même temps, sur leur sexualité. En un an, pour notre plus grande joie, ont fleuri des dizaines de podcasts, de livres, de programmes courts pour la télévision, de festivals pour célébrer le sexe des femmes sous toutes les coutures. À notre tour de mettre en lumière celles qui les font et nous permettent, grâce à leur talent, de diffuser la bonne parole. Petit tour d’horizon de ces « sexploratrices » qui nous autorisent à reprendre le contrôle de nos corps et de notre liberté.
Clit Revolution : hasta siempre !
Elles ont manifesté avec un clitoris géant devant la Trump Tower, à New York, collé des serviettes hygiéniques sur le ministère de la Santé à Rabat, au Maroc, chanté fesses nues avec une queue de yegua (« jument », un équivalent de « chienne ») sur les places de Santiago, au Chili. Rien ne semble refroidir Elvire Duvelle-Charles et Sarah Constantin quand il s’agit de défendre le droit des femmes à vivre la sexualité qu’elles veulent. C’est à ces deux journalistes, réalisatrices et activistes, amies dans le civil, que l’on doit la série documentaire Clit Revolution, diffusée sur France.tv Slash depuis mars. Ses autrices y rencontrent des militantes – aussi bien l’artiste Sophia Wallace que des lycéennes kényanes luttant contre l’excision – avec qui elles se filment en train de mener des actions dans l’espace public.
Leurs chemins se croisent fin 2012, au sein de Femen, mouvement féministe connu pour ses actions seins nus contre le patriarcat. Elles vivront un temps dans le squat du groupe et militeront ensemble cinq années durant. En 2015, l’une fait notamment partie des activistes apparues avec des banderoles « Heil Le Pen » pendant un rassemblement du FN, quand l’autre participe à un « comité d’accueil » Femen de Dominique Strauss-Kahn à son procès pour l’affaire du Carlton de Lille.
En parallèle, les deux trentenaires officient dans la même rédaction : (feu) L’Autre JT, de France 4. En 2016, elles tournent le clip CLIT-Saint-Valentin, parodie savoureuse de la chanson misogyne du rappeur Orelsan : 300 000 vues. La même année, elles décident de créer leur propre série vidéo pour y parler de sexualité. « On s’est rendu compte qu’on n’avait aucun problème à défendre des idées féministes dans la rue, mais qu’on n’osait pas remettre en question les normes phallocentrées dans notre intimité », explique Elvire Duvelle-Charles. Un pilote est tourné, un compte Instagram où diffuser la bonne parole créé. La plateforme numérique progressiste de France Télévisions accepte le projet en juin 2018. Elles en ressortent changées, jusque dans leur sexualité. « Ça ouvre les chakras du cul », admet Sarah Constantin. Pour leur « communauté », aussi. Sur Instagram, il leur arrive que des femmes leur écrivent qu’elles ont connu, grâce à leurs bonnes œuvres, leur premier orgasme. Amen.
Dans leur radar : Jüne, l’autrice du compte Instagram @jouissance.club, « parce que c’est le Kamasutra 2023 ».
Anouk Perry : la gonzo du cul
Elle a débarqué l’été 2018 dans nos oreilles avec un ovni audio : Qui m’a filé la chlamydia ?, podcast en cinq épisodes diffusé sur la plateforme Nouvelles Écoutes. Anouk Perry a mené une enquête quasi policière pour retrouver la personne qui lui a transmis son IST (infection sexuellement transmissible). Une prouesse du journalisme gonzo, saluée par de nombreux médias, dont le très sérieux Figaro Santé. Anouk cherche un·e « coupable » parmi les participant·es d’un « plan à cinq ». Mais qui est donc cette jeune femme de 25 ans parvenue à faire évoquer une partouze dans la presse quotidienne nationale de droite ? « Proche des milieux sex-positive depuis l’adolescence », Anouk Perry a fait ses armes en tant que rédactrice sexualité pour le site Madmoizelle avant de se lancer dans la grande aventure du podcast à son compte. Si elle ne parle que de fesses – ses autres marottes sont, entre autres, le paranormal et les histoires crousti-embarrassantes –, elle s’est fait un nom grâce à sa façon d’aborder la « chose » sans tabou.
« Dans mes créations, il y a clairement l’envie de donner une image détendue de la sexualité, mais comme j’ai à cœur de ne pas tomber dans l’injonction à une sexualité débridée, je ne théorise jamais, observe Anouk. Le sex-positive est un angle de mes podcasts, comme l’est la perspective féministe, sans que j’aie à mettre les mots dessus. » Un travail auréolé du prix Scam du podcast documentaire, qui lui a été remis en octobre pour J’ai assisté à un gang bang – La délicatesse des gang bangs. Oui, Anouk Perry a osé assister à une scène de sexe à plusieurs organisée par une entreprise spécialisée pour voir si la femme au centre de l’attention de ces messieurs était réellement la « reine de la soirée ». Vous pouvez actuellement suivre sa série de reportages mensuels Le Tour de France du cul, conçue pour mettre en lumière « des initiatives sex-positives en dehors de l’entre-soi bobo parisien ». Dans le premier épisode, elle est allée au planning familial de Marseille et a rencontré Shérine, une Marseillaise de 42 ans, qui n’a découvert la sérénité sexuelle que tardivement.
Dans son radar : @irenevrose, sur Instagram, artiste engagée contre le tabou des règles.
Emma Julien : ha-pine hour
Après avoir été journaliste politique radio sur RTL, Emmanuelle Julien a créé Paris Derrière *, le premier site d’information sérieux entièrement consacré à la sexualité. Depuis cinq ans, elle y dévoile les coulisses des clubs libertins, raconte les soirées sado-maso de la capitale, ou encore les expos autour de l’érotisme. Elle interviewe aussi des sexologues ou des personnes pour qui la sexualité se doit d’être libre et créative. Jusqu’à il y a quatre mois, on pouvait découvrir ce petit monde à travers notre écran d’ordinateur. Mais aujourd’hui, on peut y accéder autour d’un Apéro Paris Derrière, la dernière création d’Emmanuelle. « Le monde de l’érotisme attire mais fait peur. Souvent, les gens n’osent pas franchir la porte d’un club libertin, car ils redoutent ce qu’ils vont y trouver ou pensent qu’ils seront obligés de consommer. Avec ces soirées apéro, je leur donne accès à toutes les informations qu’ils souhaitent dans un cadre safe et bienveillant, sans qu’il ne se passe rien », explique-t-elle. Au dernier apéro, elle avait invité cinq libertins, organisateurs de soirées privées très en vogue, une dominatrice, un sexologue et un artiste du milieu à venir parler aux curieux·ses de leurs pratiques. « La sexualité est un cheminement. Il faut pouvoir dépasser ses conditionnements, se défaire de la morale encore très pesante en matière de sexualité, et s’autoriser à explorer », souligne Emmanuelle. À la suite de la dernière soirée, un des participants, trentenaire, est reparti avec la bande de libertins. Et un couple l’a contactée pour savoir dans quel club elle leur conseillait d’aller le week-end suivant. « Seules 26 % des femmes prennent leur pied avec un rapport coïtal », rappelle Emmanuelle, citant l’ouvrage de Martin Page, Au-delà de la pénétration, sorti récemment… « Il n’y a pas une mais des sexualités et Paris Derrière en donne la voie. C’est très excitant d’aider les gens à se libérer. »
* Parisderriere.fr
Dans son radar : Tatiana, du blog Desculottées, qui propose un féminisme avec les hommes, plutôt qu’en opposition. Desculottees.com
Olympe de G. : le porno susurré à nos oreilles
De ses aventures de célibataire fraîchement divorcée à 30 ans, lors desquelles elle découvre les joies des sextos, Olympe de G. se trouve un certain talent pour faire monter la température. Nous sommes en 2015, et déjà loin de ses 20 ans où elle a « consommé beaucoup de porno mainstream par curiosité ». Vidéaste pour des publicités ou des clips, elle a alors très vite envie de lier son nouvel intérêt pour l’érotisme et son savoir-faire pour réaliser elle-même des œuvres pornographiques « féministes » : « J’étais déjà très consciente du problème du regard du porno mainstream sur les femmes et j’étais arrivée à un moment de ras-le-bol sur le comportement de certains hommes envers moi. J’avais envie de taper du poing sur la table pour dire que ma sexualité n’avait pas à être raillée ou dénigrée et que j’en étais le sujet. »
Mais avant de passer derrière la caméra, la vidéaste se choisit un nom de scène assez révolutionnaire dans le milieu, Olympe de G., et devient actrice dans Un beau dimanche (2016). Histoire de « savoir ce qu’on ressent quand on est devant une caméra, pour pouvoir diriger mes acteurs en connaissance de cause ». Une fois l’expérience vécue, elle réalise son premier film, The Bitchhiker (2016), où une motarde badass prend en stop un mec en sueur sur une petite route de campagne. Comme dans ses films suivants, l’image et la lumière transpirent la sensualité. Son credo : un porno qui montre « d’autres pratiques sexuelles » que les sempiternelles doubles pénétrations de chez Jacquie et Michel, et « d’autres sexualités », comme dans We are the Fucking World, où se tient une « orgie pansexuelle ». Dans ce dernier, la première partie est documentaire, elle montre les performeur·ses se parlant pour s’assurer des pratiques auxquelles consentent chacun et chacune.
La parole, chez Olympe de G., c’est pour consentir, mais aussi pour grimper aux rideaux. La jeune femme s’est spécialisée dans les pornos sonores, avec plusieurs séries, telles L’Appli rose (où deux inconnu·es font l’amour par téléphone) ou Voxxx, une « invitation au plaisir pour clitoris audiophile ». « Je l’ai conçue comme un support pour accompagner les femmes dans la masturbation, et ce qui est étonnant, c’est que 25 % des auditeurs sont des hommes. Parce que ça les excite ou parce qu’ils s’y instruisent ? Je ne le sais pas », dit-elle en souriant.
Dans son radar : la femme de lettres, actrice et maîtresse sadomasochiste Catherine Robbe-Grillet, 88 ans, alias Jeanne de Berg.
Flore Cherry : vos fantasmes à la carte
Si vous vous ennuyez sec sous la couette avec votre mec ou votre copine, Flore saura vous divertir. « Quand on est en couple depuis longtemps, il faut pouvoir exprimer ses envies et se réinventer pour maintenir le désir sexuel. Or, ce n’est pas toujours facile d’en parler et on n’a pas toutes envie d’aller dans un club libertin et voir son mec coucher avec un ou une autre. Quelle solution reste-t-il ? S’acheter un sextoy, prendre un amant ? J’avais envie de proposer autre chose », explique Flore Cherry, journaliste à Union Magazine * et cofondatrice de My Sweet Fantasy, une société événementielle qui réalise vos fantasmes à la carte. « Ce qui marche le mieux, c’est le kidnapping. Se faire enlever à la sortie du travail puis transporter dans une voiture, tout en étant ligotée et voir son homme se faire torturer psychologiquement devant soi, ça plaît beaucoup », détaille la créatrice. Conformément à la loi, My Sweet Fantasy ne peut pas proposer de prestations sexuelles. Et les fondateurs y veillent de près : les « sweeties », des comédien·nes spécialisé·es, habitué·es au milieu de l’érotisme, sont sur écoute tout le temps de la performance. Mais cela n’empêche pas le couple de faire l’amour devant les comédien·nes, ni les actrices et acteurs de s’éclater entre eux. « L’un des fantasmes consiste à commander un show érotique lesbien à domicile. Et, souvent, les actrices s’en donnent à cœur joie devant le couple », raconte Flore. Pour ceux qui ne se retrouveraient pas dans le menu des fantasmes proposés, il est aussi possible de se commander un plat à la carte. « Il nous est arrivé de faire faire des tours de manège à un homme, déguisé en poney, dans un haras ; de poser un plâtre à un client qui souhaitait être baladé par une infirmière dans la rue et d’offrir un grand moment d’exhibition à un homme qui rêvait d’arriver nu dans une soirée. » Autant de désirs assouvis, en toute légalité et dans un cadre sécurisant, pour apporter cette petite bouffée d’air dont on rêve parfois. « La facilité quand tu t’ennuies, c’est de prendre un amant. Mais c’est tellement plus drôle de se réinventer en couple. » U S. D.
* Union Magazine, le « magazine des amoureux du sexe et de l’érotisme ».
Le site de My Sweet Fantasy : Mysweetfantasy.com
Dans son radar : Guenièvre Suryous, super illustratrice qui s’attache à représenter la sexualité de façon positive et inclusive. @guenievresuryous.
Axelle Jah Njiké : dans l’intimité des femmes noires
À l’âge où les adolescentes découvrent Kundera, Axelle Jah Njiké dévore Sexus, d’Henry Miller, et Vénus Erotica, d’Anaïs Nin. « C’est la littérature érotique qui m’a permis de me réapproprier un imaginaire dans ma sexualité », dit la créatrice de Me My Sexe and I, podcast consacré à l’intimité de femmes noires. Arpenter les rayons livres, et pas n’importe lesquels, a été pour ce petit rat de bibliothèque, l’une des clés de sa reconstruction. Une voie vers l’épanouissement qu’elle met un point d’honneur à partager.
« Originaire du Cameroun, ma mère m’a envoyée en France, chez ses fils aînés. C’est dans cet appartement qu’une connaissance de la famille m’a violée et dérobé mon entrée dans la sexualité. Imaginer un autre monde érotique, c’était ce que je pouvais faire de mieux pour me réapproprier mon intimité », confie-t-elle. À 27 ans, Axelle va découvrir que les femmes de sa famille sont toutes entrées dans la sexualité par un viol. « Même si ma mère avait essayé de me mettre à l’abri, j’ai connu le même sort. Comprendre comment certaines choses se transmettent malgré soi, ça m’a fascinée. »
Après avoir coécrit Volcaniques 1, le premier livre d’autrices noires sur le plaisir féminin et créé un site 2 recensant ses lectures érotiques, Axelle a décidé de faire témoigner des femmes noires sur leur intimité et leur vie sexuelle. Avec sept épisodes, la première saison de Me My Sexe and I comptabilise plus de 160 000 écoutes. Bonne nouvelle, une saison 2 est en préparation, ainsi qu’une saison 3 avec des hommes. D’ailleurs, un tiers de l’audience est masculine. « Ce sont des hommes qui s’interrogent sur la façon dont ils peuvent aborder ces questions avec leur fille, leur femme… Mais aussi beaucoup d’auditrices blanches, asiatiques, maghrébines. La façon dont la parole se transmet au sujet de la sexualité est universelle », souligne Axelle Jah Njiké.
Raison de plus pour organiser des rencontres IRL, son grand projet de la rentrée ! « Le désir féminin, c’est l’autonomie, et donc le pouvoir ! Et toutes les femmes doivent entendre qu’elles ont droit de le prendre. »
1. Volcaniques, une anthologie du plaisir, ouvrage collectif sous la direction de Léonora Miano. Éd. Mémoire d’encrier, 2015. 2. Parlonsplaisirfeminin.com
Dans son radar : Françoise Kepglo Moudouthe, Eyala.blog. À travers des conversations, elle répond à la question : « Qu’est-ce que ça veut dire être une féministe africaine aujourd’hui ? »
Fanny Souillat : vive l’écolo-orgasme !
Elle a 22 ans et un CV militant long comme une AG sans fin. Avant de promouvoir le sexe écolo, Fanny Souillot a écumé les congrès avec le Parlement mondial de la jeunesse pour l’eau. Il y a quatre ans, elle rejoint le mouvement Génération Cobayes, qui sensibilise les 18–35 ans sur les liens entre pollution environnementale et santé.
En 2018, elle coordonne la première édition du Shnek Fest Paris, un événement consacré au sexe féminin, qui a lieu dans différentes villes. Depuis avril, elle en est la responsable nationale. Voilà pour sa vie de militante. Son CV aligne aussi un master en politiques européennes à la Sorbonne, un boulot de prof de chorale et des cours particuliers à des collégiens. Mais son sujet principal, c’est le sexe.
« Je suis la personne qu’on vient voir quand on a besoin de conseils. Le sexe a toujours fait partie de ma vie. » Son déclic ? Un diagnostic. « Je suis atteinte d’endométriose, j’ai traversé six mois très durs pendant lesquels j’ai réfléchi à mon corps. Les perturbateurs endocriniens sont montrés du doigt dans cette maladie. Un comble quand on est dans une asso qui alerte là-dessus ! Quand j’ai mis en application ce que préconise Génération Cobayes, ça a changé ma vie. »
Ces préconisations, ce sont « Les sept commandements de l’éco-orgasme », que Fanny détaille dans des conférences à l’université, au lycée ou dans des festivals comme Solidays ou We Love Green. Lubrifiants naturels, préservatifs vegans, sextoys en bois « garantis sans écharde »… Sans gêne aucune, Fanny met dans les mains des quidams ces objets qui garantissent un sexe respectueux du corps. Inlassablement, elle alerte sur les phtalates, cette molécule chimique suspectée de perturber le système hormonal, que l’on trouve dans les Tupperware et les sextoys. Auprès de sa génération, son discours convainc. Le sexe c’est bien. Le sexe écolo, c’est mieux.
Dans son radar : Barbara Miller, réalisatrice du documentaire Female Pleasure, sorti en mai (voir la chronique dans Causette #100).
Élodie Petit : saphisme en vers
« Je m’appelle Arthur Rimbaud et je suis gouine. » Ses vers le crient. La poésie d’Élodie Petit est franche, subversive et lesbienne. Comme elle. La voir clamer son texte lors du lancement d’une revue littéraire à Paris le confirme. La jeune femme de 34 ans, coupe au bol, anneau aux lèvres et veste en cuir, s’adresse dans une lettre imaginaire à sa « chère Bébé » et parle « mouille », « gicle », « chibre tendu » ou « cercles dessinés sur [son] sexe » avec la langue. Le tout pourrait se définir comme du « cul prolo », mélange de « trucs excitants » et de rébellion politique. « Les hommes, eux, se permettent des expressions crues, constate la poétesse, prenant Georges Bataille pour illustration. L’idée est de se réapproprier ce langage pour glorifier les sexualités marginales et les envies des femmes. »
À sa sortie des Beaux Arts, en 2011, Élodie lance les Éditions douteuses : elle sème ses fanzines érotiques un peu partout, des toilettes de bars parisiens à « la salle de bains d’une maison de retraite ». Prête à devenir libraire, en 2017, elle organise son premier « atelier d’écriture érotique et politique », inspiré de sa papesse Kathy Acker, référence américaine en la matière. Pour Claire Finch, une doctorante en « poétique expérimentale queer » et participante, c’est une révélation. À l’époque, elle admire déjà les vers d’Élodie. « La seule personne capable d’écrire le sexe que l’on pratique vraiment, incluant du lubrifiant, le fisting lesbien… » Elle se rend donc à l’atelier. « Par de petits exercices sémantiques, elle nous a initiées à l’écriture très explicite. » La méthode : lister des adjectifs liés à la peau ou les verbes de la succion, par exemple, puis exploiter les scénarios qui en découlent. Claire est, depuis cette expérience, devenue « autriX » (autrice de X) auprès d’Élodie. De leur rencontre et de celle de quatre autres performeuses lesbiennes, est né, en 2018, le collectif littéraire RER Q. Au menu, lectures érotiques – parfois déguisées en licorne – suivies de fiestas sans complexes entre meufs. Le résultat fait la fierté d’Élodie. Avec toujours pour mantra : libérer le verbe des femmes pour libérer leurs corps.
Dans son radar : Les écrits de Dorothy Allison, dont Peau, à propos de sexe, de classe et de littérature, et le premier polar lesbien : After Delores, de Sarah Schulman.
Misungui : shibari à la sauce anar
Misungui, 31 ans, passée par un master en études de genre, se présente comme performeuse, modèle, domina, éducatrice sexuelle… Liste à prendre, selon vos désirs, dans l’ordre ou le désordre dans ce qu’elle nomme son petit « bordelle », du nom de sa page Facebook *. Après avoir écrit un mémoire sur le porno et les femmes, elle s’est penchée sur l’utilisation du corps dans les performances artistiques, plus particulièrement le burlesque.
C’est en remplaçant au pied levé une copine modèle qu’elle découvre, dans un haut lieu du BDSM parisien, l’école des cordes et le bondage japonais, nommé kinbaku ou shibari selon les chapelles. C’est une révélation qu’elle traduit ainsi sur son site * : « Je trouve que l’esthétique, la symbolique visuelle des cordes, de la douleur ou de l’abandon, de la lutte ou de la connexion, de la communion, exprime très bien ce que je pense des enjeux de l’être au monde. » Mais elle s’empresse d’ajouter, lors de notre entretien, que « la corde n’est pas une baguette magique. Le plus important, ce sont les émotions qui accompagnent l’outil, la relation qui se met en place, l’histoire qu’on se raconte ».
Misungui se décrit comme un animal politique. Anarchiste, elle investit la rue pour manifester ou explorer des modes de vie alternatifs. Le kinbaku, elle le vit aussi comme un acte militant : « Cet art questionne les rapports de domination et de soumission, s’intégrant parfaitement aux combats féministes. »
À force de créations, de vidéos et de spectacles qui explorent la nudité, la sexualité, l’intimité, la pudeur et la perversité, elle a acquis un savoir qu’elle a eu envie de diffuser. En 2017, à la suite de nombreuses questions d’internautes sur sa propension à « squirter » (éjaculer), elle décide de réhabiliter les ateliers sexo qui ont nourri le féminisme des années 1970 pour partager sa pratique, tout en restant « une participante éclairée de ses propres ateliers ». « Se réunir, échanger nos compétences, rétablir le DIY punk et anar, se réapproprier nos corps » sont autant de raisons qui l’ont poussée à organiser des ateliers aux intitulés qui respirent la Misungui touch : « Rencontre ta chatte », « Éjaculation féminine » ou « On s’en branle ». La sexploration est bien dans ses cordes !
* Page Facebook : Le Petit Bordelle de Misungui. Site : Misunguisurvivor.wixsite.com/misungui
Dans son radar : Rébecca Chaillon,
de la compagnie Dans le ventre : Facebook.com/rebecca.chaillon
Diane de Sexy Soucis : la prévention en se poilant
Elle cause sans complexes, sans tabous et sans dramatiser, de sexualité dans ses vidéos diffusées par France.tv Slash. Et forcément, les jeunes l’ont bien identifiée sur Snapchat. Diane, de Sexy Soucis, trentenaire décomplexée, animatrice de prévention aguerrie à tous les publics (scolaires et espaces festifs) cartonne sur les réseaux sociaux après avoir fait ses armes sur le « Gougle du cul ». Elle y répondait aux questions de sexualité et de genre posées par les internautes. Faute de temps, le site est un peu en sommeil. Surtout, Diane ne souhaite plus limiter son action à sa seule personne : « Je suis la tête de gondole sur YouTube, mais Sexy Soucis, aujourd’hui, c’est un collectif de onze personnes. »
En passant du blog aux vidéos, Sexy Soucis n’a rien perdu de son engagement égalitaire : « Tu ne trouveras pas de jugement ici, mais une vision positive et radicalement inclusive des identités et des sexualités. Le sexisme, l’homophobie, la transphobie, la biphobie, la lesbophobie, le racisme, le cissexisme, l’hétéronormativité n’ont pas leur place ici. » Sex-positive, empowerment et zéro discrimination, les valeurs portées par Sexy Soucis s’adressent prioritairement aux personnes exposées aux discours dévalorisants, soit les femmes et les LGBTQI+. Sans oublier les autres.
« Que faire si ton copain se moque pendant le sexe ? » « Comment annoncer à mon père homophobe que je suis bi ? », « Comment nettoyer le gland de mon pénis ? »… Les intitulés des vidéos s’affranchissent de détours inutiles et les réponses sont explicites et bourrées d’humour, la marque de fabrique de Sexy Soucis. Sur le terrain, en soirées queer ou électro, le collectif propose, sur ses stands, des outils ludiques et pratiques. On y trouve, pêle-mêle, des capotes à portée de mains, des gants pour le safe sex à portée de doigts, des spéculums pour l’autoexploration et même des éponges menstruelles pour déconstruire les idées reçues sur les règles et les schneck qui puent.
Alors, « branleurs et branleuses, unissez-vous ! Que ce soit pour s’exciter ou pour se détendre, au fond du lit ou sous la douche, il n’y a pas de mal à se faire du bien »… Et puisque c’est Sexy Soucis qui nous y invite, il n’y a plus qu’à.
* Sexysoucis.fr
Dans son radar : L’afroféministe Sharone Omankoy sur Twitter @LeKitasagite.
Mistress Velvet : la domina afroféministe
Mistress Velvet n’est pas une dominatrice comme les autres. Cette trentenaire américaine résidant à Chicago ne se contente pas de fouetter des hommes soumis sexuellement contre rémunération. Elle a la particularité de demander à ses esclaves, essentiellement des hommes blancs, de lire de la littérature afroféministe pour leur faire prendre conscience de leurs privilèges. Pour elle, la domination a été une façon de dépasser ses traumas. « Je suis immigrée d’Afrique, j’ai la peau foncée, j’ai subi des violences sexuelles et le harcèlement de rue, je me suis fait traiter de négresse. Tout cela a eu un impact sur ma vie et je me suis beaucoup dénigrée. Mistress Velvet m’a aidée à me dire que j’étais digne d’être respectée. »
Son parcours a été semé d’embûches. Dans sa vingtaine, elle est étudiante en médecine et vit une relation abusive avec un homme alcoolique. Menacée d’expulsion de son appartement, elle se prostitue en cachette pour gagner son propre argent et retrouver son indépendance. En 2014, elle quitte son partenaire et ses études de médecine pour s’inscrire en master de gender studies, au grand dam de ses parents, des immigrés ghanéens installés en Caroline du Nord.
À la même époque, une amie dominatrice professionnelle lui parle de sa pratique. La jeune femme s’essaie alors à l’exercice tarifé du BDSM et découvre un autre monde. « La domination m’a aidée à devenir celle que je voulais être », dit-elle. Mistress Velvet tient désormais une chronique dans le magazine américain Bitch et continue le travail du sexe, à la fois pour gagner sa vie et parce que son statut lui permet, à un niveau individuel, de renverser les hiérarchies sociales. Aujourd’hui, elle dispose d’un soumis pour gérer ses nombreux rendez-vous et a entamé une « tournée » internationale afin de rencontrer des clients, ainsi que d’autres dominas noires.
En dehors des hommes qui la paient pour subir sévices et humiliations, certains lui versent uniquement de l’argent en guise de « réparation », comme cet Anglais qui a mis en place un virement mensuel « parce que l’Angleterre a colonisé le Ghana ». D’autres l’aident à rembourser son prêt étudiant, paient son loyer ou font son ménage. « Je sais que tous me fétichisent en tant que femme noire. Mais j’essaie de déconstruire cette fétichisation dans mon travail », dit-elle. Cette réflexion a nourri son mémoire universitaire, qui sera bientôt publié. Celui-ci porte sur le BDSM comme moyen, pour certaines femmes noires, de se reconstruire après des violences sexistes et racistes.
Dans son radar : Rococo Royalle, qui, entre autres choses, crée et produit du porno éthique et anti-opression queer.