Qui était Alexeï Navalny, l’ennemi empoi­son­né, empri­son­né et mort sous Poutine ?

Evgeny Feldman FEV 2576
© Evgeny Feldman / Wikimedia Commons

L’opposant russe de 47 ans a été retrou­vé mort ce ven­dre­di dans la colo­nie péni­ten­tiaire recu­lée de l’Arctique où il pur­geait une énième peine pour extré­misme. Les démo­cra­ties occi­den­tales dénoncent avec vigueur la res­pon­sa­bi­li­té du régime de Poutine.

Empoisonné, empri­son­né, condam­né et mort en pri­son. Alexeï Navalny a payé de sa vie sa lutte contre Vladimir Poutine, dénon­çant sans relâche la répres­sion et la cor­rup­tion de son régime, tout comme l’assaut que le pré­sident russe a déclen­ché contre l’Ukraine. Il a été décla­ré mort par l’administration de sa pri­son du nord de la Russie ce vendredi.

Incarcéré depuis jan­vier 2021, l’opposant s’était vu infli­gé en août der­nier une énième peine : dix-​neuf années pour “extré­misme” à pas­ser dans l’un des éta­blis­se­ments les plus rudes du sys­tème car­cé­ral russe. Il avait été trans­fé­ré fin 2023 dans une colo­nie péni­ten­tiaire recu­lée de l’Arctique.

Âgé de 47 ans, ce grand blond au regard bleu per­çant était appa­ru amai­gri et vieilli lors des der­nières retrans­mis­sions à dis­tance des der­nières audiences dans les­quelles il était impli­qué, der­nier moyen de le voir. L’empoisonnement dont il a été vic­time en 2020, une grève de la faim et des séjours répé­tés à l’isolement l’avaient mar­qué physiquement.

En une dou­zaine d’années, l’avocat Navalny, qui a un temps flir­té avec le natio­na­lisme, s’est impo­sé en détrac­teur numé­ro 1 de M. Poutine et de son “par­ti des voleurs et des escrocs”, comme il le qua­li­fiait. Il s’est d’abord fait connaître en col­la­bo­rant à l’organisation de grandes mani­fes­ta­tions d’opposition, en 2011 et 2012, fina­le­ment répri­mées. En 2013, il arrive deuxième aux muni­ci­pales à Moscou, un tour de force ampli­fiant sa notoriété.

Poutine en boucle

Malgré des condi­tions de déten­tion par­ti­cu­liè­re­ment dures pour celui qui était pla­cé à l’isolement en conti­nu, sa déter­mi­na­tion n’était pas enta­mée. Au cours des audiences et dans des mes­sages dif­fu­sés par l’intermédiaire de ses avo­cats, il ne ces­sait de conspuer Vladimir Poutine, qu’il avait qua­li­fié de “papi caché dans un bun­ker”. Lors de son pro­cès pour “extré­misme”, début août 2023, il avait fus­ti­gé “la guerre la plus stu­pide et la plus insen­sée du XXIsiècle”, évo­quant l’assaut russe contre l’Ukraine.

Le pré­sident ukra­nien Volodymyr Zelensky, actuel­le­ment en visite à Berlin pour signer un accord bila­té­ral de sécu­ri­té pour sou­te­nir mili­tai­re­ment l’Ukraine face à la Russie, a décla­ré, rap­porte Le Monde  : “Il est évident pour moi qu’[Alexeï Navalny] a été tué comme des mil­liers d’autres qui ont été tor­tu­rés à mort à cause d’une seule per­sonne, Poutine, qui ne se sou­cie pas de qui va mou­rir tant qu’il conserve sa posi­tion”, ajou­tant que Vladimir Poutine doit “rendre des comptes pour ses crimes”. Les dirigeant·es de l’est de l’Europe ont émis des décla­ra­tions du même ordre, tan­dis que l’Union euro­péenne, par la voix du pré­sident du Conseil euro­péen, Charles Michel, a affir­mé sur X tenir “le régime russe” pour “seul res­pon­sable de la mort tra­gique” de Navalny. Même son de cloche aux États-​Unis : le secré­taire d’État amé­ri­cain Antony Blinken a affir­mé “la Russie est res­pon­sable” de la mort de l’opposant. Alors que le pré­sident fran­çais Emmanuel Macron doit accueillir cet après-​midi Volodymyr Zelenski, il n’a pas encore réagi offi­ciel­le­ment à la dis­pa­ri­tion de l’avocat russe.

Alexeï Navalny conti­nuait de don­ner de ses nou­velles depuis sa pri­son. Dans ses mes­sages en ligne, il iro­ni­sait sur les bri­mades que l’administration car­cé­rale lui fai­sait subir. Elle l’obligeait notam­ment à écou­ter, jour après jour, un seul et même dis­cours de Vladimir Poutine : “Ce n’est pour­tant pas comme s’il en pro­non­çait peu !” Alexeï Navalny s’efforçait aus­si d’afficher son sou­tien à ses cama­rades d’infortune, empri­son­nés du fait de la répres­sion, dénon­çant une jus­tice russe “fas­ciste”. De l’étranger, ses équipes conti­nuent de dif­fu­ser des enquêtes sur l’enrichissement des élites poli­tiques dont une par­tie pro­fite direc­te­ment du conflit en Ukraine.

“Ténèbres”

L’opposant s’efforçait aus­si tou­jours d’afficher un cer­tain opti­misme. “Je sais que les ténèbres dis­pa­raî­tront, que nous gagne­rons, que la Russie devien­dra un pays paci­fique, lumi­neux et heu­reux”, écrivait-​il en juin 2023.

Harcelé par les auto­ri­tés, igno­ré par les médias offi­ciels, Alexeï Navalny se bâtit pen­dant les années 2010 une noto­rié­té 2.0, avec la dif­fu­sion d’enquêtes vidéo virales dénon­çant la cor­rup­tion du pou­voir russe. Au contraire, Vladimir Poutine refuse même de pro­non­cer son nom. Alexeï Navalny par­vient bien à se consti­tuer une base au sein de la jeu­nesse russe, urbaine et connec­tée, mais sa popu­la­ri­té à l’échelle natio­nale et trans­gé­né­ra­tion­nelle reste très limitée.

Jamais se taire

Parmi les détrac­teurs du pou­voir russe, cer­tains lui repro­chaient encore ses flirts avec l’extrême droite ou encore son ambi­guï­té sur l’annexion en 2014 de la Crimée ukrai­nienne par la Russie. Mais son cas était deve­nu une cause pour tous et toutes les opposant·es, les ONG et les Occidentaux quand il avait été empoi­son­né en août 2020 en Sibérie, en pleine cam­pagne pour des élec­tions régionales. 

À l’article de la mort, il avait été trans­fé­ré en Allemagne pour y être soi­gné, avec l’accord du Kremlin. Guéri et loin d’être inti­mi­dé, Alexeï Navalny avait fait un grand retour en décembre 2020 en pié­geant un agent russe qui admet, au télé­phone, que son empoi­son­ne­ment était bien le fait des ser­vices secrets. Dans la fou­lée, refu­sant toute idée d’exil, il était ren­tré le 17 jan­vier 2021 en Russie, cer­tain d’y être arrê­té. Dès son arri­vée à l’aéroport, devant les camé­ras du monde entier, il est pla­cé en déten­tion. Deux jours après, l’opposant avait réa­li­sé un autre coup d’éclat. Dans une nou­velle enquête vidéo, Vladimir Poutine est accu­sé de s’être fait bâtir un palais déli­rant de luxe sur la mer Noire. Le reten­tis­se­ment est tel que le pré­sident russe doit per­son­nel­le­ment se char­ger du démenti.

Ces suc­cès et l’affaire de son empoi­son­ne­ment n’ont pas pour autant mobi­li­sé les foules en Russie, les mani­fes­ta­tions étant rapi­de­ment répri­mées. Les auto­ri­tés sem­blaient déter­mi­nées à rendre la vie impos­sible à l’opposant qui, quant à lui, se disait déter­mi­né à ne jamais céder. “Je ne me tai­rai pas et j’espère que tous ceux qui m’entendent ne se tai­ront pas”, lançait-​il devant le tri­bu­nal, en sep­tembre 2022, après avoir pas­sé douze jours à l’isolement pour avoir dénon­cé l’offensive russe contre l’Ukraine.

Selon Le Monde, la pre­mière chaîne de télé­vi­sion russe a à peine men­tion­né la nou­velle de la mort de l’avocat, “en sep­tième posi­tion des titres”, le pré­sen­ta­teur se conten­tant de lire le com­mu­ni­qué de l’administration pénitentiaire.

Partager