Catalina de Erauso, la nonne lieutenant

Aventurière infa­ti­gable, Catalina de Erauso a tro­qué le voile de reli­gieuse contre l’habit d’homme, pour mener une vie d’errance au début des années 1600.

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Catalina de Erauso, par José Luis Villar.
Collection du Musée de l’Armée, à l’Alcazar de Tolède (Espagne).
© AKG-​Images

Catalina voit le jour en 1592 1 dans la ville de Saint-​Sébastien, en plein Siècle d’or espa­gnol. Placée au couvent dès son plus jeune âge, elle voit son enfance filer avec une mono­to­nie que l’on ne peut que sup­po­ser, jusqu’à ce qu’elle décide, à 15 ans, de prendre la fuite. « Je sor­tis dans la rue que je n’avais vue de ma vie, sans savoir par où me diri­ger, ni où j’allais », écrit-​elle dans ses Mémoires. Déboussolée, c’est dans un bois qu’elle trouve refuge afin d’entamer une méta­mor­phose sur laquelle elle ne revien­dra jamais. « J’y pas­sai trois jours, taillant et cou­sant mes habits. D’une bas­quine [jupe basque, ndlr] de drap bleu que je por­tais, je me fis des hauts-​de-​chausses ; d’un jupon de des­sous en laine verte, un pour­point et des guêtres. » La jeune fille par­fait sa trans­for­ma­tion en se cou­pant les che­veux. C’est déci­dé, désor­mais, elle sera homme !

Sur la route, elle se fait appe­ler Francisco de Loyola et se met au s­ervice des nobles qui croisent son che­min. Fraîchement arri­vée au port de Sanlucar, elle décide d’embarquer sur un bateau à des­ti­na­tion de Carthagène des Indes, en Colombie. Nous sommes alors en 1603, et c’est le début d’une aven­ture invraisemblable.

Catalina de Erauso a la bou­geotte. À Lima, au Pérou, elle intègre une com­pa­gnie en par­tance pour le Chili, afin de com­battre les Indiens. Lors d’une bataille, voyant « l’ennemi » s’emparer du dra­peau de sa troupe, elle part à l’assaut. « Percé[e] de trois flèches et d’une lance dans l’épaule gauche », elle par­vient tout de même à récu­pé­rer l’étendard ! Elle hérite alors du titre d’alfe­rez (« lieu­te­nant »), ce qui lui vau­dra plus tard lorsque, dans l’impasse, elle confes­se­ra son his­toire, le sur­nom de « Monja-​Alferez » (« nonne- lieutenant »).

Impulsive et brutale 

Si Catalina est irré­sis­ti­ble­ment atti­rée par le com­bat, elle semble avoir peu de goût pour la dis­ci­pline mili­taire. Impulsive, elle s’emporte pour un oui ou pour un non. À un homme qui lui répond « imper­ti­nem­ment », elle entaille le visage. À un autre, elle porte un coup mor­tel. Tel est le quo­ti­dien, ou presque, de cette jeune fille témé­raire. Il faut dire que l’épée, Catalina sait la manier. D’où lui vient cette dex­té­ri­té ? On ne le sau­ra pro­ba­ble­ment jamais ! Une nuit, alors qu’elle assiste un ami lors d’un duel, elle poi­gnarde son propre frère, Miguel de Erauso, dont elle ne recon­naît la voix qu’après lui avoir por­té le coup fatal.

Poursuivie par la jus­tice, c’est dans une église qu’elle trouve refuge avant de prendre la direc­tion du Tucuman 2, par la cor­dillère des Andes. Le che­min est périlleux. Elle y croise des cadavres figés par le froid et voit mou­rir ses deux com­pa­gnons de route. Pieds nus, fri­go­ri­fiée et contrainte de man­ger la viande de son propre che­val, elle attend que la mort la fauche à son tour. « Je m’assis contre un arbre et me mis à pleu­rer, et je crois que ce fut la pre­mière fois de ma vie… », écrit-​elle. Mais l’infatigable aven­tu­rière s’en sort et pour­suit son errance.

Loin de l’avoir assa­gie, ce tête‑à‑tête avec la mort l’a ren­due encore plus témé­raire. Catalina semble n’avoir plus qu’une idée en tête : vivre, à tout prix. Elle mul­ti­plie les alter­ca­tions et les allers-​retours en pri­son. Elle connaît la tor­ture sur le potro (« che­va­let ») et se voit, par deux fois, condam­née à la peine capi­tale pour avoir semé la mort sur son passage.

Mais tant d’intrépidité ne peut lais­ser le corps et le cœur intacts. Les cica­trices, Catalina les col­lec­tionne, et on la devine fati­guée par le com­bat. Poursuivie par la jus­tice pour la énième fois, elle finit par tom­ber le masque devant l’évêque de Guamanga 3, met­tant fin à près de vingt années de men­songes. « Le voyant si saint homme, et me croyant en pré­sence de Dieu même, je me décou­vris… », relate‑t‑elle. L’aventurière confesse son his­toire, évoque son frère, décrit ses com­bats et prouve sa vir­gi­ni­té 4. Elle entre alors au couvent, unique échap­pa­toire à la jus­tice qui l’attend, tan­dis que son incroyable his­toire se répand sur tout le ter­ri­toire espagnol.

La fin d’une vie d’errance 

Le 1er novembre 1624, après plus de deux années pas­sées au ser­vice de Dieu, elle regagne l’Espagne, sus­ci­tant la curio­si­té par­tout sur son pas­sage. À Madrid, elle insiste pour que l’on récom­pense ses ser­vices mili­taires et se voit accor­der « huit cents écus de pen­sion ». À Rome, enfin, elle se pré­sente devant le pape Urbain VIII et lui fait le récit de ses péri­pé­ties. « Sa Sainteté se mon­tra fort éton­née d’une telle his­toire, et m’accorda avec bon­té la per­mis­sion de vivre désor­mais en habit d’homme… »

La suite ? On l’ignore ! Les sur­pre­nants Mémoires de Catalina de Erauso s’arrêtent ici ! Elle aurait été aper­çue en 1645 au Mexique, trans­por­tant des bagages avec un atte­lage de mulets. Drôle de recon­ver­sion pour une explo­ra­trice en quête d’adrénaline ! Quelles étaient ses moti­va­tions ? Avait-​elle d’ailleurs d’autres buts que celui de se sen­tir vivante ? Catalina a empor­té bon nombre de secrets avec elle. Mais à la lec­ture de son his­toire, on ne peut que rejoindre don Joaquim Maria de Ferrer, l’éditeur de l’ouvrage, lorsqu’il écrit ceci : « Quelle erreur funeste a donc fait adop­ter, comme par une espèce de maxime ou d’aphorisme incon­tes­table, que la stu­pi­di­té et la fai­blesse étaient le triste apa­nage des femmes ? » 

1. Selon son acte de bap­tême. Dans ses Mémoires, Catalina de Erauso dit être née en 1585.

2. Le Tucuman est une pro­vince d’Argentine.

3. Ville du Pérou, aujourd’hui bap­ti­sée Ayacucho.

4. Si Catalina de Erauso a aimé des femmes au cours de son aven­ture, il sem­ble­rait qu’elle ait tou­jours pris la fuite avant que l’on découvre son véri­table sexe.


Catalina. Enquête, de Florence Delay. Éd. Seuil, 1994.

Elles ont conquis le monde : les grandes aven­tu­rières, 1850–1950, d’Alexandra Lapierre et Christel Mouchard. Éd. Arthaud, 2007.

Histoire de la Monja-​Alferez, Doña Catalina de Erauso, écrite par elle-​même et enri­chie de notes et docu­ments, par don Joaquin Maria de Ferrer. Éd. Bossange Père, 1830. Disponible en ver­sion numé­rique, gra­tuite sur https://books.google.fr

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