Aventurière infatigable, Catalina de Erauso a troqué le voile de religieuse contre l’habit d’homme, pour mener une vie d’errance au début des années 1600.
Catalina voit le jour en 1592 1 dans la ville de Saint-Sébastien, en plein Siècle d’or espagnol. Placée au couvent dès son plus jeune âge, elle voit son enfance filer avec une monotonie que l’on ne peut que supposer, jusqu’à ce qu’elle décide, à 15 ans, de prendre la fuite. « Je sortis dans la rue que je n’avais vue de ma vie, sans savoir par où me diriger, ni où j’allais », écrit-elle dans ses Mémoires. Déboussolée, c’est dans un bois qu’elle trouve refuge afin d’entamer une métamorphose sur laquelle elle ne reviendra jamais. « J’y passai trois jours, taillant et cousant mes habits. D’une basquine [jupe basque, ndlr] de drap bleu que je portais, je me fis des hauts-de-chausses ; d’un jupon de dessous en laine verte, un pourpoint et des guêtres. » La jeune fille parfait sa transformation en se coupant les cheveux. C’est décidé, désormais, elle sera homme !
Sur la route, elle se fait appeler Francisco de Loyola et se met au service des nobles qui croisent son chemin. Fraîchement arrivée au port de Sanlucar, elle décide d’embarquer sur un bateau à destination de Carthagène des Indes, en Colombie. Nous sommes alors en 1603, et c’est le début d’une aventure invraisemblable.
Catalina de Erauso a la bougeotte. À Lima, au Pérou, elle intègre une compagnie en partance pour le Chili, afin de combattre les Indiens. Lors d’une bataille, voyant « l’ennemi » s’emparer du drapeau de sa troupe, elle part à l’assaut. « Percé[e] de trois flèches et d’une lance dans l’épaule gauche », elle parvient tout de même à récupérer l’étendard ! Elle hérite alors du titre d’alferez (« lieutenant »), ce qui lui vaudra plus tard lorsque, dans l’impasse, elle confessera son histoire, le surnom de « Monja-Alferez » (« nonne- lieutenant »).
Impulsive et brutale
Si Catalina est irrésistiblement attirée par le combat, elle semble avoir peu de goût pour la discipline militaire. Impulsive, elle s’emporte pour un oui ou pour un non. À un homme qui lui répond « impertinemment », elle entaille le visage. À un autre, elle porte un coup mortel. Tel est le quotidien, ou presque, de cette jeune fille téméraire. Il faut dire que l’épée, Catalina sait la manier. D’où lui vient cette dextérité ? On ne le saura probablement jamais ! Une nuit, alors qu’elle assiste un ami lors d’un duel, elle poignarde son propre frère, Miguel de Erauso, dont elle ne reconnaît la voix qu’après lui avoir porté le coup fatal.
Poursuivie par la justice, c’est dans une église qu’elle trouve refuge avant de prendre la direction du Tucuman 2, par la cordillère des Andes. Le chemin est périlleux. Elle y croise des cadavres figés par le froid et voit mourir ses deux compagnons de route. Pieds nus, frigorifiée et contrainte de manger la viande de son propre cheval, elle attend que la mort la fauche à son tour. « Je m’assis contre un arbre et me mis à pleurer, et je crois que ce fut la première fois de ma vie… », écrit-elle. Mais l’infatigable aventurière s’en sort et poursuit son errance.
Loin de l’avoir assagie, ce tête‑à‑tête avec la mort l’a rendue encore plus téméraire. Catalina semble n’avoir plus qu’une idée en tête : vivre, à tout prix. Elle multiplie les altercations et les allers-retours en prison. Elle connaît la torture sur le potro (« chevalet ») et se voit, par deux fois, condamnée à la peine capitale pour avoir semé la mort sur son passage.
Mais tant d’intrépidité ne peut laisser le corps et le cœur intacts. Les cicatrices, Catalina les collectionne, et on la devine fatiguée par le combat. Poursuivie par la justice pour la énième fois, elle finit par tomber le masque devant l’évêque de Guamanga 3, mettant fin à près de vingt années de mensonges. « Le voyant si saint homme, et me croyant en présence de Dieu même, je me découvris… », relate‑t‑elle. L’aventurière confesse son histoire, évoque son frère, décrit ses combats et prouve sa virginité 4. Elle entre alors au couvent, unique échappatoire à la justice qui l’attend, tandis que son incroyable histoire se répand sur tout le territoire espagnol.
La fin d’une vie d’errance
Le 1er novembre 1624, après plus de deux années passées au service de Dieu, elle regagne l’Espagne, suscitant la curiosité partout sur son passage. À Madrid, elle insiste pour que l’on récompense ses services militaires et se voit accorder « huit cents écus de pension ». À Rome, enfin, elle se présente devant le pape Urbain VIII et lui fait le récit de ses péripéties. « Sa Sainteté se montra fort étonnée d’une telle histoire, et m’accorda avec bonté la permission de vivre désormais en habit d’homme… »
La suite ? On l’ignore ! Les surprenants Mémoires de Catalina de Erauso s’arrêtent ici ! Elle aurait été aperçue en 1645 au Mexique, transportant des bagages avec un attelage de mulets. Drôle de reconversion pour une exploratrice en quête d’adrénaline ! Quelles étaient ses motivations ? Avait-elle d’ailleurs d’autres buts que celui de se sentir vivante ? Catalina a emporté bon nombre de secrets avec elle. Mais à la lecture de son histoire, on ne peut que rejoindre don Joaquim Maria de Ferrer, l’éditeur de l’ouvrage, lorsqu’il écrit ceci : « Quelle erreur funeste a donc fait adopter, comme par une espèce de maxime ou d’aphorisme incontestable, que la stupidité et la faiblesse étaient le triste apanage des femmes ? »
1. Selon son acte de baptême. Dans ses Mémoires, Catalina de Erauso dit être née en 1585.
2. Le Tucuman est une province d’Argentine.
3. Ville du Pérou, aujourd’hui baptisée Ayacucho.
4. Si Catalina de Erauso a aimé des femmes au cours de son aventure, il semblerait qu’elle ait toujours pris la fuite avant que l’on découvre son véritable sexe.
Catalina. Enquête, de Florence Delay. Éd. Seuil, 1994.
Elles ont conquis le monde : les grandes aventurières, 1850–1950, d’Alexandra Lapierre et Christel Mouchard. Éd. Arthaud, 2007.
Histoire de la Monja-Alferez, Doña Catalina de Erauso, écrite par elle-même et enrichie de notes et documents, par don Joaquin Maria de Ferrer. Éd. Bossange Père, 1830. Disponible en version numérique, gratuite sur https://books.google.fr