Soixante-dix ans de règne au compteur et une popularité jamais démentie. Vu de France, c’est vrai qu’on a un peu de mal à partager, et parfois même à comprendre, la ferveur qu’a suscité cette vieille dame couronnée. Un drôle de personnage, qui a incarné la monarchie, les traditions les plus old school et un conservatisme évident, mais qui a également su faire sien ce rôle auquel elle n’était pas tout à fait destinée, jusqu’à devenir une figure mondialement connue.
« Il y a peut- être une ou deux personnes au fin fond de la Chine qui ne la connaissent pas, s’amuse l’Anglais Kevin Loader, producteur d’un documentaire décalé, Elizabeth, regard(s) singulier(s). Mais c’est quand même la femme la plus célèbre de la planète. » Et sans doute la seule, sur Terre, qui puisse à la fois se targuer d’avoir eu les puissant·es de ce monde à sa table, de toucher sa bille en mécanique et d’avoir adoubé les Spice Girls. « Je suis tombée amoureuse de la reine. C’est la féministe ultime », dira même d’elle l’actrice Olivia Colman, qui a interprété son rôle dans la magistrale série The Crown. Euhhhhh… L’actrice ne se serait-elle pas laissée déborder par son enthousiasme ? Un peu dubitative, Causette a donc décidé de passer la reine au détecteur de féminisme.
Progressisme
Si Elizabeth s’est retrouvée sur le trône, ce n’était pas ce qui était prévu au départ. Quand son grand-père, le roi George V, a rendu l’âme, c’est l’oncle Edward III qui a hérité de la couronne. Sauf qu’il l’a rendue fissa, préférant épouser une mondaine américaine, deux fois divorcée. Damn ! Résultat, c’est George VI, le daron de Babeth, qui a pris sa succession. Manque de bol, le pauvre homme est décédé quinze ans plus tard, à l’âge de 56 ans. En 1952, à 25 ans, Elizabeth a donc été catapultée reine.
Outre-Manche – où la loi salique interdisant aux femmes de monter sur le trône n’existe pas –, les hommes n’ont pas le monopole du pouvoir. D’ailleurs, les deux monarques britanniques les plus puissant·es de l’histoire ont été des femmes : Elizabeth Ire, au XVIe siècle, et Victoria, entre 1837 et 1901. Pas mal ! Et si la jeune Elizabeth II s’est globalement pliée sans moufter au jeu protocolaire (elle n’en a guère le choix, à dire vrai), elle a aussi apporté quelques petites touches de modernité à la couronne britannique. À la hauteur de ce que son statut lui permettait…
Par exemple en envoyant son fils Charles à l’école, faisant de lui le premier héritier direct à se mélanger à d’autres enfants de sa génération. Ou en 2013, lorsqu’elle a donné son assentiment pour changer les règles de la succession royale : rompant avec une tradition vieille de trois siècles, cette nouvelle loi a instauré la primogéniture absolue. En clair, la reine a dit « yes » pour mettre fin à la primauté masculine : dorénavant, c’est l’aîné·e du souverain ou de la souveraine qui prendra sa suite, fille ou garçon. Certes, « cette mesure, dans l’air du temps, a été prise par le gouvernement. Et l’assentiment royal est une formalité », rappelle Philippe Chassaigne, universitaire spécialiste de la famille royale britannique. N’empêche que la symbolique est forte.
« En assumant son rôle avec stoïcisme et dévouement, elle a sans le vouloir fait beaucoup pour banaliser l’idée qu’une femme soit au pouvoir », assurait la journaliste britannique Emma Barnett, en 2015, dans le quotidien conservateur The Telegraph. Dans le pays, sa manière d’exercer le pouvoir est plutôt appréciée. « Je pense que le fait qu’elle soit une femme a été important pour le succès de son règne. Elle avait un côté matriarche, elle incarnait quelque chose d’assez accessible pour nous, les Anglais, même si ça peut sembler paradoxal », analyse Kevin Loader, producteur d’Elizabeth, regard(s) singulier(s), .
Pendant soixante ans, le pouvoir a eu un visage féminin. Ce qui ne se reproduira pas avant… trois générations.
L’avis de la rédac : trop timide. On aurait aimé quelques actions plus offensives sur le terrain du girl power, mais pas si simple avec ce foutu protocole.
Émancipation féminine
Mais qui était donc « Lilibet » (c’est son petit nom), la femme sous la couronne ? Pas une ménagère des fifties comme les autres, à l’évidence. À une époque où les Françaises devaient encore demander l’autorisation à leur époux pour travailler, elle a pu échapper à l’asservissement domestique, privilèges royaux obligent. Son statut lui ayant donné une bonne excuse pour refourguer bébé Charles (né en 1948) à ses nannies, et envoyer Anne (née à peine deux ans plus tard) à ses grands-parents, alors qu’elle était tout juste sevrée : « Déso, j’ai voyages diplomatiques et traditions royales. » Une façon tout aristo de concilier vie pro et vie de famille, le prix de la baby-sitter n’étant pas vraiment un problème au palais de Buckingham.
Elle a par ailleurs imposé à son dominateur d’époux de prendre son nom de famille à elle, celui des Windsor, pour que le patronyme royal ne soit pas supplanté par le sien, d’ascendance allemande qui plus est. L’Allemagne n’étant pas, à ce moment-là, au max de la hype… Un coup dur pour ce bon vieux Philip : « Simple “locataire” d’un appartement qui était la propriété de la Couronne, il se voyait maintenant réduit à la fonction de géniteur anonyme des héritiers du trône », comme l’écrit l’universitaire Joanny Moulin dans Elizabeth II. Une reine dans l’Histoire.
Pas de quoi faire d’Elizabeth une iconoclaste pour autant. Mais comment aurait-elle pu l’être, vu son époque et surtout son rang ? Née en 1926, elle a été éduquée comme une jeune fille de l’aristocratie – donc pas franchement dans l’objectif de s’affirmer en tant que femme. Mini-rébellion, à son échelle : son mariage avec Philip, qu’elle aimait sincèrement, n’était pas vu d’un très bon œil par ses parents, mais elle a tenu bon et l’union a fini par être adoubée par son père.
Bon, niveau choix de mari, si l’amour est au rendez-vous, le machisme aussi… « Pas franchement un champion de l’égalité. Elle a plutôt choisi un mâle alpha », résume la journaliste Marion L’Hour dans My Diary. Le journal intime de la reine. Pas très déconstruite, la Babeth : « En public, le prince Philip marchait toujours deux mètres derrière elle. Mais en privé, c’était lui le mari, le père de famille, avec des conceptions très traditionnelles de son rôle. Je ne dirais pas que la reine filait doux, mais c’est à peu près cela », abonde Philippe Chassaigne, spécialiste de la royauté britannique. « Ne nous leurrons pas, dans une vie normale sans couronne, elle aurait été une gentille épouse à la maison », conclut Marion L’Hour.
L’avis de la rédac : ça pique ! Élève studieuse, dotée de détermination, mais beaucoup trop docile à la maison. À bas les stéréotypes
Exercice du pouvoir
Avec ses chapeaux flamboyants et ses salutations gantées, Elizabeth avait peut-être un peu l’air d’une potiche. Mais derrière son allure de Mamie Nova, on a affaire à une fine connaisseuse des affaires diplomatiques. « Quand la reine présidait les sommets du Commonwealth, elle disposait d’une marge de manœuvre assez importante. Elle avait une autorité morale, d’autant plus forte qu’elle en était la chef depuis 1952. Par ailleurs, elle connaissait très bien les affaires intérieures de chacun des pays [cinquante-quatre États membres, dont quinze royaumes qui reconnaissent Elizabeth II comme souveraine et cheffe d’État, ndlr] et pouvait s’entretenir de façon tout à fait solide avec tous les Premiers ministres, présidents, monarques de chacun d’entre eux », rappelle Philippe Chassaigne. Mais elle avait beau être à la tête d’un royaume, Elizabeth n’avait aucun réel pouvoir politique à l’échelle nationale. Elle n’en demeurait pas moins une voix qui compte.
Il faut dire que Lilibet a bossé dur pour tenir son rôle. Lorsqu’elle se retrouve sur le trône, jeune et novice, il lui faut en effet se familiariser – et vite – avec les usages, les dossiers et les rouages politiques. Et pour ça, elle peut notamment compter sur un certain Winston Churchill (alors Premier ministre), qui joue le rôle de mentor, en passant de longues heures avec elle pour la former au game politique. Dès leur première rencontre, des années auparavant, l’homme d’État avait déjà senti son potentiel de leadeuse. « Elle a un air d’autorité et de réflexion surprenant pour une enfant si jeune », disait-il alors qu’elle avait tout juste 2 ans et que personne ne se doutait qu’elle deviendrait reine.
Observatrice attentive des enjeux politiques, Sa Majesté la Queen recevait chaque jour, vers 9 heures, la fameuse « red box », cette boîte contenant les rapports quotidiens du gouvernement et les dépêches diplomatiques. « Elle était sans doute la personne la mieux informée du monde », confirme Philippe Chassaigne. Chaque semaine, elle s’entretenait aussi avec le ou la Premier·ère ministre. Sur lequel·laquelle elle n’avait aucune autorité, certes, mais à qui elle savait faire passer des messages. Comme en 1956, quand Anthony Eden, chef du gouvernement, l’a informée de l’offensive prévue sur le canal de Suez. « Êtes-vous sûr que c’est une bonne idée ? » lui aurait poliment demandé la reine (traduction : ton idée craint un max, dude). « Oui », aurait maintenu le Premier ministre. « Et quinze jours plus tard, on a vu le résultat : une réussite sur le plan militaire, mais un fiasco diplomatique total », résume Philippe Chassaigne.
Pas née de la dernière pluie, Elizabeth a quand même traversé près d’un siècle d’Histoire. Alors on ne la lui fait pas, à elle ! « Au fur et à mesure que son règne s’est prolongé, elle est passée d’un statut de jeune monarque inexpérimentée à une figure d’expérience. Elle a vu passer une quinzaine de Premiers ministres, ça n’est pas rien ! À l’exception de Boris Johnson – qui est un cas à part –, elle est une voix qu’on écoute », poursuit Philippe Chassaigne. Une voix, mais aussi une oreille. L’ancien chef du gouvernement travailliste Tony Blair a ainsi dit un jour qu’il n’y avait que deux personnes à qui il pouvait confier ce qu’il pensait vraiment de ses collègues au gouvernement : son épouse et la reine.
L’avis de la rédac : Excellent ! Belle maîtrise des enjeux politiques et géopolitiques. Aucun syndrome d’imposture à l’horizon.
Hobbies
Que peut bien faire une reine quand elle n’est pas accaparée par les mondanités ou par le tea time ? De la chasse, pardi ! Une activité traditionnellement masculine, à laquelle Lilibet a été initiée par son père, le roi George VI. Devenue reine, elle n’a pas renoncé à ce loisir, mais a toutefois abandonné le tir pour faire travailler les chiens, l’une de ses grandes passions. « Cela lui permettait d’assumer un rôle éminent qui seyait à la souveraine, tout en se tenant à une place subalterne d’épouse docile et taciturne, ce qui ménageait à bon compte la susceptibilité masculine de son seigneur et maître », souligne Joanny Moulin, dans la riche biographie qu’il a consacrée à Elizabeth II. Ou comment conserver habilement ses hobbies sans vexer son macho de mari ?
Car la Queen a plus d’un tour dans son sac et quelques surprises à son actif. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a servi dans les forces auxiliaires féminines de l’armée de terre. Elle a appris à conduire, à réparer les moteurs… des activités qui, à l’époque, n’étaient pas spécialement féminines », rappelle Philippe Chassaigne. Il se dit qu’elle était la seule de la famille capable de réparer une Bentley ou une Range Rover. Hélas, les occasions de conduire sont rares… Et puis son véritable dada, ce sont les chevaux. Férue de courses hippiques – comme toute aristo qui se respecte –, Babeth en a d’ailleurs élevé plusieurs. « La façon dont Elizabeth s’investissait dans l’élevage des chevaux de course […] visait à affirmer tout à la fois son prestige de souveraine et son indépendance de femme. En développant cette entreprise, elle se bâtissait un univers où [Philip] n’avait aucune part », écrit Joanny Moulin. Un loisir bien commode, en somme, pour ne pas avoir ce relou de Philou sur le dos.
L’avis de la rédac : Satisfaisant. Fusils, voitures et étalons… Respect pour le côté loisirs non genrés, même s’il faudrait songer à sortir un peu de sa zone de confort CSP+++++ !
Boys’ club
Parce que reine, Elizabeth s’est retrouvée dans le plus grand boys’ club du monde : celui des chef·fes d’État et dirigeant·es politiques. Ah là, au moins, pas de surprise : tout au long de son règne, ce sont encore et toujours des hommes qui ont gouverné le monde. Et sans jamais risquer le faux pas protocolaire, Babeth a su s’imposer parmi eux avec un style… royal, évidemment. À en croire une interview de la journaliste Tina Brown – autrice de plusieurs ouvrages sur la famille royale –, Elizabeth n’a jamais cherché à rivaliser avec les hommes. « Je pense qu’elle n’a jamais considéré que le sexisme était un problème. Elle a toujours eu l’habitude d’être entourée d’hommes de pouvoir et elle n’a jamais remis ça en question. C’est même quelque chose qu’elle apprécie. »
Quelques mois avant d’hériter de la couronne, à seulement 25 ans, elle rencontre ainsi le président américain Truman, sans se montrer impressionnée. Avec son successeur, Eisenhower, elle entretiendra une longue correspondance – comme elle le fera ensuite avec JFK. Habituée à traiter d’égale à égal avec ces hommes puissants, elle s’autorisera même à faire passer quelques subtils messages. Comme en 2003, quand VladimirPoutine s’est rendu à Londres pour une visite diplomatique. Lors d’une cérémonie officielle, le chien du ministre de l’Intérieur se met alors à aboyer très fort. Passablement gêné, son maître s’excuse auprès de la reine. Laquelle lui aurait alors répondu : « Les chiens ont des instincts intéressants, n’est-ce pas ? »
Mais c’est sans doute avec le prince saoudien Abdallah qu’elle s’est montrée la plus affirmée. En 1998, elle l’a en effet reçu dans l’une de ses résidences secondaires, en Écosse. Où elle lui propose de faire le tour du propriétaire, en voiture. Hésitant, le prince finit par monter dans la Land Rover royale. Mais là, coup de théâtre : c’est la reine elle-même qui prend le volant. Une façon de montrer au prince que les femmes – interdites de conduite en Arabie saoudite, jusqu’en 2018 – peuvent bel et bien manier le volant ? Toujours est-il que ce dernier l’aurait implorée de lever le pied et de se concentrer sur la route. Dans les dents !
L’avis de la rédac : Félicitations ! 10/10 pour avoir trollé le princed’Arabie saoudite. Well done, Your Majesty !
Intersectionnalité
Compliqué – pour ne pas dire impossible – d’incarner la lutte contre les différentes formes de domination, quand on est soi-même reine d’un ancien empire colonial. Non pas qu’Elizabeth n’ait jamais pris position sur les questions raciales : contrairement à Margaret Thatcher – dont elle aurait critiqué, en privé, la politique antisociale et anti-immigration –, la souveraine était favorable aux sanctions économiques contre l’Afrique du Sud, voyant dans son « infâme » régime d’apartheid une « insulte à l’humanité ». « Tout ce qui ressemblait, de près ou de loin, à des préjugés raciaux faisait horreur à Elizabeth », écrit d’ailleurs l’universitaire Joanny Moulin.
Malgré cela, elle continue d’incarner le passif colonial de la Grande-Bretagne. Contrairement à certain·es chef·fes d’État (et à la différence de son fils, le prince Charles, qui qualifiait en 2018 d’« atrocité » la traite des esclaves et rappelait la part de responsabilité de son pays), elle n’a jamais fait de déclarations à ce sujet ni exprimé de regrets officiels sur ce sombre passé. En juin 2021, des étudiant·es d’Oxford ont d’ailleurs retiré son portrait d’une salle commune. Un mois plus tard, à Winnipeg, des activistes canadien·nes ont déboulonné sa statue et celle de la reine Victoria, symboles de l’histoire coloniale du Canada (ancienne colonie britannique) et des crimes d’État envers les populations autochtones.
Quelques mois plus tôt, le prince Harry et son épouse, Meghan Markle, avaient dénoncé le racisme dont il et elle auraient été victimes, au sein même de la famille royale. Selon Meghan, l’un·e de ses membres se serait inquiété·e de la couleur de peau du futur bébé. Malaise total. Le jeune couple a tout de même tenu à préciser qu’il ne s’agissait pas de la grand-mère. OUF !
N’empêche, question diversité, le palais de Buckingham a encore du boulot. Selon des documents officiels, à peine 8,5 % des employé·es du palais sont issu·es de minorités ethniques. Une enquête du Guardian a aussi révélé que, jusqu’à la fin des années 1960 au moins, « les immigrants de couleur ou les étrangers » avaient même été volontairement écartés de certains postes au sein de la maison royale. Depuis, Buckingham assure avoir lancé une évaluation de ses politiques internes, admettant qu’il était nécessaire d’en « faire davantage » pour favoriser la diversité au sein du personnel de la famille royale. Il serait temps. Le monarque actuel a intérêt à s’y mettre rapido.
L’avis de la rédac : Craignos. Elizabeth, ce n’est pas la reine de la convergence des luttes. Apparemment, elle n’a pas lu bell hooks.
#MeToo
Pour le jubilé de la Reine, le prince Andrew n’était pas aux premières loges, sur le balcon de Buckingham, lors du défilé militaire annuel qui marque l’anniversaire de sa mère. Andrew, 62 ans, est le troisième fils de la reine. Andrew est désormais connu pour son comportement mezzo réglo envers les jeunes femmes que pour ses titres royaux.
En 2019, l’Américaine Virginia Giuffre, alors âgée de 36 ans, a déclaré avoir eu des relations sexuelles avec le prince britannique alors qu’elle n’avait que 17 ans. Leur rencontre s’est faite par l’intermédiaire du financier Jeffrey Epstein – qui s’est suicidé en prison en 2021 avant de pouvoir être jugé pour trafic sexuel en bande organisée. L’affaire, qui a légitimement fait scandale au Royaume-Uni, s’est soldée par un accord financier entre le prince et la plaignante. Andrew, qui a toujours cherché à minimiser et à se disculper des faits qui lui sont reprochés, a donc échappé aux poursuites judiciaires, et sa famille, à la fâcheuse publicité qu’aurait occasionné un procès.
Lire aussi l Affaire Epstein : le prince Andrew conclut un accord à l’amiable avec Virginia Giuffre, qui l’accusait d’agressions sexuelles
Face au scandale, la main de la reine n’a pas tremblé : elle a déchu son fils de ses titres et de ses fonctions officielles en 2019, réagissant en « chef de famille royale », estime Philippe Chassaigne. Mais, depuis, le prince était réapparu en public au côté de Mummy lors de la cérémonie d’hommage au prince Philip. Un geste très mal vécu par les victimes d’Epstein. « La reine est arrivée au bras d’Andrew. Ses sentiments de mère sont différents de ceux du chef de la famille royale », poursuit Philippe Chassaigne.
Alors, faut-il séparer la mère de la souveraine ? La question n’aurait pas été facile à trancher pour la Queen. « Andrew est réputé être son fils préféré, complète Marion L’Hour. Elle lui a quand même retiré ses fonctions officielles. Elle ne lui a pas accordé le grade, ne lui a pas permis de porter l’uniforme militaire. Mais il était malgré tout au centre de la cérémonie d’hommage à son père. Cette affaire montre en tout cas qu’elle n’est pas radicalement féministe. Sinon, elle lui aurait demandé de se retirer totalement. » Selon l’ouvrage Palace Papers, écrit par la journaliste Tina Brown (éd. Century, avril 2022), qui dévoile les dessous croustis du palais, Andrew aurait un peu fait le forcing pour tenir le bras de Maman. Comme c’est son petit chouchou et qu’elle était un peu fatiguée, elle n’a pas vu le problème.
L’avis de la rédac : Too Bad ! Des signaux trop contradictoires. Dommage, ça aurait pu rattraper un bilan somme toute très mitigé.
Bilan royal
Sans surprise, la souveraine aux chapeaux n’obtient pas une très bonne note au détecteur de féminisme. Si vous avez bingé la série The Crown en pensant qu’Elizabeth II était une souveraine badass, vous vous êtes sans doute – à l’instar de son actrice principale – un peu laissé·e berner par les envolées romanesques et pas toujours hyper factuelles du scénario.
De son intime conviction, on ne sait rien en réalité. Car la femme la plus célèbre du monde est aussi la plus silencieuse. Pendant soixante– dix ans de règne, elle n’a eu d’autre choix que de la jouer poker face et bouche cousue. « Il est donc absolument impossible de connaître sa ligne idéologique et politique sans faire de projection », analyse Zoe Williams, chroniqueuse au Guardian. Une femme puissante, certes, mais muselée par le protocole. « En fait, résume Marion L’Hour, il lui est interdit de se singulariser. Comme elle doit représenter tout le monde, elle ne peut pas être clivante. » Et quoi de plus clivant que l’émancipation des femmes, isn’t it ? Ce qui ne nous empêche pas d’attaquer la saison 6 avec plaisir.
Elizabeth II. Une reine dans l’Histoire, de Joanny Moulin. Éd. Flammarion, 2012.
My Diary. Le journal intime de la reine, de Marion L’Hour. Flammarion, 2021.
The Crown, de Peter Morgan. Série de 5 saisons (40 épisodes de 47 à 61 min) sur Netflix. Une sixième saison est prévue.
Elizabeth, regard(s) singulier(s), documentaire de Roger Michell. En salles le 2 juin.