Aux championnats d’Europe de gymnastique de Bâle, en Suisse, certaines athlètes ont délaissé le justaucorps traditionnel pour une combinaison courant jusqu’aux chevilles. Le but : en finir avec l’hypersexualisation du corps des gymnastes. Si, dans le milieu, l’initiative a été globalement saluée, le justaucorps long reste sujet à controverse.
« Un signal important. » C’est ce qu’a voulu lancer la gymnaste allemande Sarah Voss lors des championnats d’Europe à Bâle, fin avril, en concourant en justaucorps intégral. Pour elle, comme deux de ses coéquipières (Elisabeth Seitz et Kim Bui) : exit le maillot échancré, place à la combinaison pailletée.
Par cette initiative, ces jeunes femmes comptent dénoncer l’hypersexualisation des gymnastes. Susciter une réflexion autour de la mise en scène du corps au sein de ce sport où la réussite s’incarne aussi dans l’affirmation de sa féminité.
L’action des Allemandes a eu un retentissement médiatique fort, s’inscrivant dans la lignée du mouvement #MeToo. Les affaires d’abus sexuels n’ont en effet pas épargné le monde de la gymnastique. Un exemple très médiatisé, pourtant loin d’être le seul : l’ancien médecin de l’équipe nationale américaine, Larry Nassar, accusé par plusieurs gymnastes dont la championne Simone Biles d’avoir agressé sexuellement des centaines de sportives entre 1998 et 2015, a été condamné à la prison à perpétuité en 2018.
Ouvrir la voie ?
Chez les gymnastes, la parole se libère et s’ensuit d’actes. L’épisode du justaucorps intégral en est une démonstration. En ce sens, Sarah Voss fait figure d’exemple. « Elle ouvre une porte pour d’autres jeunes filles, faire bouger les lignes », décrypte Patricia Costantini, cofondatrice du collectif Egal-Sport, engagé dans l’égalité femmes-hommes dans le sport.
La démarche de Sarah Voss a été applaudie sur les réseaux sociaux , notamment par les gymnastes françaises Mélanie De Jesus Dos Santos, présente à Bâle, et Lorette Charpy, quadruple médaillée au niveau européen. D’autres concurrentes ont été plus mesurées, à l’instar de la Russe Angelina Menilkova. Pour elle, le choix de l’Allemande était « inhabituel » mais « joli ». Ce sur quoi s’accorde la Britannique Jessica Gadirova, pour caractériser ce « nouveau type de tenue ».
Pas si nouveau que ça, selon Camille Rey, juge française au niveau national : « Cela fait vingt ans que le code [de pointage en gymnastique, qui recense les catégories d’acrobaties et les fautes relatives à leur réalisation, ndlr] autorise les gymnastes à choisir leur justaucorps en épreuve individuelle, manches courtes ou longues. » D’autant qu’à la Fédération française de gymnastique, certain·es juges et entraîneur·euses, mais aussi gymnastes considèrent la prestation de Sarah Voss comme « un non-événement », la combinaison étant autorisée « depuis des années ». Enfin, concourir en maillot intégral n’enfreint pas les règles en compétition internationale, abonde Patricia Costantini. « Exploiter le règlement est une bonne chose : si cela permet à la femme d’être plus à l’aise, rien ne doit l’empêcher de s’en emparer. »
« Faux débat »
Ce qui gêne, en revanche, c’est le contraste entre la médiatisation du geste de la Germanique et celle de ses homologues des pays arabes pour avoir porté une tenue similaire, comme la Qatarie Aljazy Al-Habshi à Doha, en 2013. D’un côté, une action acclamée, qualifiée d’innovation. De l’autre, un accoutrement critiqué, accusé de contraindre les femmes à se couvrir le corps au nom de la religion et de mettre en péril la neutralité du sport. Neutralité inscrite dans la charte du Comité international olympique (CIO), dont la règle 50.2 n’autorise « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». « On valorise l’Allemande pour sa revendication, mais on dénonce le style des autres par peur de se retrouver avec des gymnastes voilées ? Ce deux poids/deux mesures n’est pas normal. C’est un faux débat », conclut Camille Rey.
Sarah Voss sera-t-elle en combinaison aux Jeux de Tokyo ? Il faudra attendre les résultats des qualifications internes allemandes prévues avant l’été pour savoir si, déjà, elle fera partie de l’équipe nationale olympique. Et donc, si elle compte se vêtir comme à Bâle. Cela ne dépend pas que d’elle, car les règles sont strictes, surtout aux JO : tenue identique pour toute l’équipe. À ce stade, l’Allemagne n’a pas annoncé opter pour un justaucorps intégral.