Près de 100 millions d’électeur·rices sont appelé·es aux urnes dimanche au Mexique, pour désigner selon toute vraisemblance la première présidente dans l’histoire d’un pays qui vit un bon moment économique mais reste gangrené par la narcoviolence.
La candidate de la gauche au pouvoir Claudia Sheinbaum, 61 ans, part favorite pour devenir la première présidente d’un pays où les féministes dénoncent un machisme structurel et culturel. Ex-maire de Mexico, scientifique, elle devance dans les sondages Xochitl Galvez, 61 ans également, une cheffe d’entreprise issue d’un milieu modeste. Loin derrière, le candidat centriste Jorge Alvarez Maynez, 38 ans, fait figure d’outsider pour cette élection à un tour.
Claudia Sheinbaum terminera sa campagne mercredi à Mexico, en promettant de poursuivre les politiques sociales du très populaire président sortant Andres Manuel Lopez Obrador et de son Mouvement pour la régénération nationale (Morena). Pendant son gouvernement, 8,9 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, qui touche encore 36,3 % des 129 millions de Mexicain·es, selon des données officielles.
Pour Guadalupe Correa-Cabrera, professeur à l’université américaine George-Mason, une femme présidente sera “un grand changement et une inspiration pour les femmes dans tous les secteurs”. “Je vais voter pour Claudia parce qu’avec elle il y aura de l’éducation, des bourses”, affirme de son côté Ricardo Escobar, 20 ans, sans travail formel.
L’ex-maire de Mexico peut s’appuyer sur l’enracinement de Morena, qui a conquis en dix ans à peine la présidence, la majorité au Congrès et au Sénat, ainsi que dans une vingtaine d’États sur trente-deux dans ce pays à la fois présidentialiste et fédéral.
Si sa victoire ne fait guère de doutes, la présidentielle n’est qu’un enjeu parmi d’autres des plus grandes élections jamais organisées au Mexique, avec le renouvellement du Congrès et du Sénat, de neuf gouverneurs sur trente-deux états et d’une myriade d’élus locaux·ales.
En tout, 20 000 postes sont à pourvoir lors de ces scrutins entachés par l’assassinat d’une trentaine de candidat·es à des élections locales dans des régions où le crime organisé veut choisir ses candidats.
Plusieurs questions se posent à l’approche du scrutin. Élue présidente, l’ex-maire de Mexico va-t-elle encore disposer d’une majorité au Congrès et au Sénat ? D’une majorité simple ou plus élargie ? Deuxième question : la gauche va-t-elle conserver son fief depuis vingt-cinq ans, la capitale du Mexique, dirigée par Claudia Sheinbaum de 2018 à 2023, et par le président sortant Lopez Obrador dans les années 2000 ?
“La perte de Mexico donnerait l’impression que Morena a été touchée” et “Claudia serait affaiblie d’entrée”, explique Jorge Zepeda Patterson, éditorialiste respecté. Aux élections intermédiaires de 2021, Morena avait perdu la majorité absolue au Congrès et six des seize districts de Mexico. Troisième interrogation : qui sera l’interlocuteur de la presidenta aux États-Unis, avec qui le Mexique entretient une relation bilatérale parmi les plus intenses au monde (commerce, migration, lutte contre le trafic de drogues et d’armes) ?
Avec Trump ou Biden ?
La future présidente, qui prendra ses fonctions le 1er octobre, devra attendre la réponse jusqu’au 5 novembre, date du “match retour” annoncé entre le président démocrate Joe Biden et l’ex-président républicain Donald Trump. “Je pense que nous aurons de bonnes relations, que cela soit avec Trump ou Biden. Ils ont besoin de nous. Nous avons besoin d’eux”, a déclaré Claudia Sheinbaum à des journalistes étrangers mi-mai. “Sheibaum a deux plans, un avec Biden, l’autre avec Trump”, précise un membre de son équipe, l’ex-ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard.
La prochaine présidente héritera d’un pays tout en contraste, qui attire investisseur·euses et touristes tout en étant d’une extrême violence par endroits. Le pays accumule 450 000 homicides et 100 000 disparu·es depuis 2006 et le lancement d’une opération militaire contre les narcotrafiquants, qui n’a fait que balkaniser les cartels.
En rupture avec le tout-répressif, le président sortant a choisi de s’attaquer aux causes de la délinquance, avec des programmes sociaux à destination des jeunes. Claudia Sheinbaum veut poursuivre cette politique, tout en luttant contre “l’impunité”. “Rien ne va changer pour les puissants cartels qui contrôlent de larges régions”, d’après Guadalupe Correa-Cabrera.
Portée par le retour des usines le long de la frontière avec les États-Unis et l’augmentation du salaire minimum, l’économie devrait croître de 2,2 % en 2024, d’après l’OCDE. “La solidité du marché de l’emploi renforcera la consommation, poursuit-elle. Les exportations soutiendront la croissance en 2025 […] L’inflation continuera à descendre peu à peu vers les 3,1 % en 2025.”
Seule incertitude économique lors du prochain mandat : une éventuelle réforme fiscale pour financer l’État-providence mis en place par Morena. “Je pense qu’elle est inévitable”, estime l’éditorialiste Jorge Zepeda Patterson.