Explosion du port de Beyrouth, tremblements de terre, crise économique… Au Liban, les traumatismes s’enchaînent et ravivent le souvenir de la guerre. En quelques années, la santé mentale est devenue une urgence nationale à laquelle l’État, défaillant, est pourtant bien incapable de répondre. À mesure que le tabou se brise, les associations et les citoyen·nes s’organisent.
Voilà trois jours que Tamara souffre de tachycardie. « Mes nouveaux anxiolytiques me donnent des palpitations et m’empêchent de dormir », confie-t-elle, agitée, en tapotant sa poitrine. La coach sportive a 33 ans, les cheveux bouclés noir de jais, de la gravité dans le regard, une veste en jean délavé sur le dos. « Je suis, comme tout le monde, en mode survie. » Depuis quelques années, la jeune Libanaise lutte contre une dépression, des idées suicidaires et des crises d’angoisse à répétition. Les guerres successives, l’explosion du port, la pandémie de Covid et la crise économique ont instillé chez Tamara, comme chez une bonne partie du peuple libanais, une anxiété généralisée. Près de 40 % de la population souffrirait aujourd’hui d’un trouble psychologique, soit quatre fois plus que la moyenne mondiale. « Les gens vont mal, et la situation ne cesse de se dégrader. Il y a un avant et un après 2019 : la crise économique a tout changé », déplore Tamara. Gangréné par l’inflation et la précarité, le Liban manque cruellement de structures, de médicaments, de personnel soignant. Voilà également bientôt sept mois qu’il n’a plus de président. Alors que la question de la santé mentale est sur toutes les lèvres, psychiatres et psychologues désertent le pays, laissant dans leur sillage des cabinets vides et des files d’attente à rallonge.
Quand le centre el-Rahma a ouvert ses portes à Tripoli, le 15 septembre dernier, Tamara était la première à patienter devant l’entrée. « Je cherchais désespérément de l’aide depuis des mois. J’avais contacté quinze psychologues, ils étaient tous complets… Et surtout trop chers. » Il faut dire que l’établissement, en dispensant un suivi psychologique et des médicaments gratuits, fait figure d’exception. Ses façades blanches tranchent avec les bâtiments décrépis du vieux centre-ville. Une telle structure n’aurait pu voir le jour sans l’aide de fonds internationaux 1, devenus indispensables pour pallier les carences du système de santé libanais. Depuis quelques années, les organisations non gouvernementales et les associations locales redoublent d’efforts pour compenser ce que l’État, défaillant, n’est plus en mesure d’assurer. Stéphanie Bou Gebrayel, psychologue du centre, se souvient de ses premières années passées à exercer. « On me disait que j’étais le docteur des fous. Notre métier était stigmatisé, alors qu’aujourd’hui c’est peut-être le boulot le plus demandé : on réalise qu’on ne peut pas vivre sans psychologues au Liban. » Elles sont deux thérapeutes à se relayer pour assurer le suivi d’une centaine de patient·es des environs de la région de Tripoli.
Il a fallu huit mois avant que Jocelyne Azar, psychiatre qui partage déjà son activité entre quatre établissements,[…]
- Le centre a été financé par l’Agence française de développement.[↩]