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“Ils me disent que c’est des bottes de salope et que je suis une BDH (ban­deuse d’hommes)” : au col­lège, les filles tou­jours vic­times de sexisme et de harcèlement

Comment les collègien·nes d’aujourd’hui se situent-ils et elles en termes de sexisme et de harcèlement ? Plongée en mer adolescente où le tableau n’est (toujours) pas franchement reluisant…

Sonnerie familière. Dans le collège Abel Minard de Tonnerre, ville de 4 000 habitant·es, en Bourgogne-Franche Comté, c’est l’heure de la récréation de milieu d’après-midi. Les cinq cents élèves de l’établissement situé en Réseau d’éducation prioritaire, nommé autrefois ZEP, surgissent des bâtiments orange et verts. Sur le terrain de foot, aménagé entre le préau et la cantine, les garçons se précipitent. La plupart des filles, elles, vont plutôt s’installer sur les tables ou les bancs aux extrémités de la cour, dissimulées. Chloé* est arrivée dans ce collège il y a deux ans. Elle profite de la récréation avec ses copines : elles se tiennent par les coudes en marchant. “Dans la cour, il y a des groupes de garçons qui s’amusent à faire des bruits d’adulte quand on passe devant eux. Nous, on passe devant et on les ignore juste”, décrit la fillette de 11 ans.

Au collège, le sexe semble omniprésent. Des contenus pornographiques se frayent un chemin jusqu’au fond du bus, les murs sont gravés de phallus au Tipp-Ex, les blagues et défis multiples tournent autour de “ça”. Ce que l’on ne pratique pas, et ce dont on ne sait pas grand-chose, est dans la tête de beaucoup. Et, surtout, dans la tête des garçons. “Parfois, les garçons de ma classe critiquent mes chaussures. Ils me disent que c’est des bottes de salope, et que je suis une BDH (bandeuse d’hommes)”, explique Louise*, 11 ans. “Moi, avant je ne savais pas ce que cela voulait dire. Je les ignore”, précise-t-elle.

Une première approche de la sexualité pour ces jeunes filles, violente et agressive. Face à ces comportements, elles se protègent en s’effaçant. Difficile à faire dans un environnement que les plus âgés et la gent masculine s’approprient. “Dès la sixième, les filles vont être gênées par les regards des plus grands, pas forcément ceux de leur classe. Elles ont intégré des gestes à ne pas faire ou des choses à ne pas dire”, note Mathilde Pedrot, professeure principale de sixième depuis de nombreuses années au collège de Tonnerre.

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Manger une banane à la cantine, par exemple, serait à proscrire car trop suggestif et ouvrant la voie aux plaisanteries douteuses. Mais ces comportements se propagent en dehors de la cantine et à travers les grilles du collège pour les poursuivre dans leur quotidien sur les réseaux sociaux.

Échanges de nudes sous la menace

“Parfois dès la sixième, des affaires de revenge porn arrivent après une histoire d’amour. À chaque fois, les garçons demandent des photos de leurs petites copines dénudées, puis les divulguent lors de la rupture”, témoigne Vanessa Mazzocato, professionnelle de santé du collège Abel-Minard.

Du revenge porn, dont l’échange de photos initial semble dès le départ loin d’être consenti. Des échanges de photos sexuelles, sur le modèle d’une intimité d’adultes, en réalité teintés d’intimidation, de peur et parfois de menace physique. “Nous avons des cas – de l’ordre de quatre à cinq l’année dernière – où des filles de sixième se retrouvent sur des groupes WhatsApp avec des garçons qui les intimident et les menacent physiquement pour qu’elles envoient des photos nues”, explique Vanessa Mazzocato. Celles-ci s’exécutent, et les photos sont partagées à grande échelle.

Briser l’omerta

Ces échanges pornographiques sont difficiles à combattre, car chez les collégiens et les collégiennes une sorte d’omerta existe. On ne raconte pas aux adultes ce qui se passe dans la cour et sûrement pas sur les réseaux sociaux. “Les comportements suspects sont remarqués quand il est trop tard, lorsque certaines filles s’absentent ou font de nombreuses crises d’angoisse. Souvent, ce sont leurs amies qui nous en parlent. Elles racontent par exemple que cette copine a vu son petit amoureux toute seule ce week-end et qu’il a voulu lui mettre la main dans la culotte sans qu’elle n’ait dit oui”, détaille Vanessa Mazzocato.

Les adolescentes victimes se sentent honteuses, et isolées. “Une année, suite à une agression sexuelle, une jeune de fille de sixième m’a confié avoir des pensées suicidaires”, se remémore l’infirmière.

“Faire ça” ou comment le tabou prime

Par honte, et surtout par peur pour leur réputation, les filles se taisent. Surtout, le tabou règne et les mots sont difficiles à poser. “Quand j’étais en sixième, sur notre discussion de groupe de classe sur Instagram, et sur la majorité des discussions de classe du collège, des messages entre un couple de troisième avaient fuité”, raconte Léa* en troisième dans un collège de Versailles. “Et en fait, c’était un peu choquant, car on a tous pensé qu’ils étaient trop jeunes.” Léa ne le dira pas comme cela, mais sur ces captures d’écran, le couple évoquait en réalité une relation sexuelle qu’il venait d’avoir pour la première fois. “Je me rappelle que tout le monde avait un peu dit que c’était beaucoup trop tôt pour faire ça. Et, c’est surtout la fille qui avait été critiquée”, réalise-t-elle.

17% des filles subissent du “revenge porn”

Difficile pour ces jeunes filles de conscientiser ce qui leur arrive. Et donc quasiment impossible de comptabiliser toutes les situations de revenge porn ou de cyberviolence au collège. Le centre Hubertine-Auclert mène chaque année une étude sur le sujet auprès de 1 200 élèves francilien·nes de 12 à 15 ans. En 2023, 17 % des filles rapportaient avoir subi des “victimations à caractère sexiste et sexuel dans le cyberespace”, “combinant photos ou vidéos intimes réalisées sans en avoir vraiment envie, photos ou vidéos intimes diffusées sans accord, réception de textos, photos ou vidéos à caractère sexuel qui ‘mettent mal à l’aise’”.

Stéphane*, le père de Chloé*, la collégienne en cinquième à Tonnerre, a choisi d’être membre du conseil des parents d’élèves du collège pour justement accompagner sa fille dans sa scolarité. “Il est très difficile de savoir quand et comment expliquer les choses en tant que parents. Je ne sais pas à quel point ses camarades et elles sont au courant de certaines choses, et si elle est prête pour certaines conversations”, avoue-t-il. “L’année dernière, dans une classe de sixième, il y a eu un échange de photos dénudées entre des élèves et j’étais assez choqué que des enfants de 10 ans puissent s’envoyer des photos de leurs sexes. J’ai essayé d’avoir une conversation avec elle à ce sujet, mais ça la gêne beaucoup”, se souvient-il.

Depuis 2016, le sexting non consenti et le revenge porn, sont punis de deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende. Mais l’omerta collégienne protège les jeunes délinquants : 20 % des élèves victimes de violence, en présentiel ou dans le cyberspace, n’en parlent à personne et près de la moitié des filles qui en parlent le font uniquement à leurs ami(e)s, d’après l’étude du centre Hubertine-Auclert.

* Le prénom a été modifié.

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