Quatre associations féministes ou de protection de l’enfance ont saisi le Conseil national de l’ordre des médecins et le parquet général de la cour d’appel de Versailles pour questionner le travail de l’expert psychiatre judiciaire Paul Bensussan, qu’elles accusent de « systématiquement » contester la parole de l’enfant dans le cadre d’affaires de violences intrafamiliales et d’inceste.
Le psychiatre Paul Bensussan, médiatique expert judiciaire agréé par la cour d’appel de Versailles, fait-il mal son travail ? Quatre associations (Collectif féministe contre le viol (CFCV), CDP-Enfance, Innocence en danger et le Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA)) en sont convaincues et ont écrit vendredi 8 avril au Conseil national de l’ordre des médecins et au parquet général de la cour d’appel de Versailles pour leur demander « de constater les manquements déontologiques [du Dr Paul Bensussan] lors des expertises menées et d’en tirer toutes les conséquences disciplinaires qui s’imposent ». Ces associations réclament également que le psychiatre ne soit plus missionné « dans des dossiers de violences sur mineur ».
En cause, selon Mediapart qui révèle cette saisie : une suspicion de proximité de Paul Bensussan avec les thèses autour syndrome d’aliénation parentale (SAP). Jamais reconnu scientifiquement, le SAP désigne pour celles et ceux qui le brandissent l’emprise d’un enfant par l’un de ses deux parents pour nuire à l’autre – notamment dans le cadre d’un divorce – via une « campagne de dénigrement ». Il est généralement utilisé dans le cadre de défense de pères accusés de violences ou d’incestes par leur enfant, pour démontrer que les accusations seraient fausses et dictées ou induites par la mère. Or, selon les associations requérantes, « l’enfant est toujours considéré par le Dr Bensussan comme contaminé, sous influence ou victime du syndrome d’aliénation parentale, sous l’emprise maternelle. […] Un diagnostic posé de manière systématique. »
“Observations dans la salle d’attente”
A l’appui de leur courrier, les quatre associations ont adjoint neuf expertises réalisées par Paul Bensussan et dans lesquelles le psychiatre conclut « à une forme d’aliénation parentale », indique Mediapart, pour en contester le professionnalisme et l’impartialité. Dans plusieurs de ces procédures judiciaires, l’entretien entre l’enfant et le Dr Bensussan n’aurait pas duré plus de « vingt minutes », selon les indications des mères contestant l’expertise. « Cette durée est notoirement insuffisante pour mener un entretien avec un enfant ayant dénoncé des faits de maltraitance et élaborer un diagnostic fiable », soulignent les associations. Pire : dans l’un des cas, Paul Bensussan convient lui-même qu’il… Ne s’est pas entretenu avec les deux fillettes dont il avait la charge mais s’est borné à une « observation dans la salle d’attente ». « Il serait excessif de parler d’entretien », admet-il dans son compte-rendu.
Autre élément à charge : alors que la conférence de consensus chargée d’ausculter le fiasco judiciaire d’Outreau et, plus récemment la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) recommandent de faire intervenir un·e pédopsychiatre pour examiner les mineur·eures dans ces affaires de violences intrafamiliales, le Dr Bensussan n’a jamais été formé en pédopsychiatrie. Ainsi, dans le dossier de l’une des neuf expertises mises en cause par les associations, un mail du psychiatre envoyé à une mère a été versé. « Il me semble nécessaire de vous dire que je ne suis pas pédopsychiatre », y lit-on.
Lire aussi l Inceste : la Commission indépendante torpille le “syndrome d’aliénation parentale”
Pour les requérantes qui dénoncent la proximité idéologique du professionnel de santé avec les associations de défense des intérêts des pères, ces expertises « se révèlent totalement tendancieuses, voire uniquement idéologiques, et ne sont pas basées sur des constatations médicales ».
Adèle, condamnée à un an de prison ferme pour soustraction d’enfants
Contacté par Mediapart, le Dr Bensussan a indiqué « réserver ses réponses aux instances ordinales ». La veille de l’envoi du courrier à l’Ordre des médecins et au parquet général de la cour d’appel de Versailles, il signait toutefois une tribune dans Marianne au sujet d’une affaire particulière, celle d’une mère connue sous le nom d’Adèle. Selon Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes qui a fait le récit de son histoire dans sa chronique hebdomadaire sur France Inter le 1er avril, Adèle a été condamnée à un an de prison ferme pour soustraction de ses trois enfants. Anne-Cécile Mailfert précise qu’Adèle a voulu les protéger après avoir surpris leur père de regarder de la pédopornographie avec eux.
Mis en cause nommément dans cette chronique, Paul Bensussan se défend donc, aux côtés de l’avocate Marie Dosé, dans cette tribune. « Aux yeux de la chroniqueuse, écrit le duo, la décision du parquet de classer sans suite la plainte de la mère demeure la preuve ultime d’une justice pénale coupable d’innocenter les abuseurs. Pas un mot sur les mois d’enquête, ni sur la résistance de l’enfant à confirmer aux enquêteurs les allégations de sa mère, ni même sur le choix de celle-ci de ne pas saisir un juge d’instruction – donc de ne pas contester le classement sans suite. »
Les deux auteur·rices concluent leur tribune en déplorant que « l’absence de l’aliénation parentale des classifications actuelles [soit] souvent présentée comme la preuve de sa non-existence ». En demandant au Conseil national de l’ordre des médecins de se pencher sur le cas Bensussan, les associations requérantes espèrent un positionnement de l’ordre sur un « syndrome » de plus en plus exploité.
Lire aussi : Tribune l Manifeste des mères protectrices contre le « syndrome d’aliénation parentale »