Pendant les vacances de la Toussaint, comme des centaines d’autres en France, une quinzaine d’enfants des Hauts-de-Seine issus de milieux défavorisés, se familiarisent avec l’eau grâce au programme “Comme un poisson dans l’eau” du Secours populaire. Causette a assisté à la deuxième session, au bord du bassin.
Mohamed, 8 ans, n’a pas beaucoup dormi la nuit dernière. La cause de cette agitation nocturne ? Le deuxième jour, ce mardi 24 octobre, de son stage de piscine. Le tout premier de sa vie. Hier, c’était d’ailleurs la première fois qu’il nageait dans un bassin. On comprend donc son insomnie. “J’avais trop hâte d’y retourner”, glisse-t-il à Causette en replaçant maladroitement ses lunettes de natation colorées sur le bout de son nez. Et il n’est pas le seul à être déchaîné. Au bord du bassin de 25 mètres de la piscine municipale de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), une tripotée d’enfants en maillot de bain s’affaire à placer tant bien que mal leur bonnet bleu en latex sur leur tête. Le tout dans une ambiance survoltée, qui tranche avec le climat studieux qui règne de l’autre côté, autour du bassin de 50 mètres, où s’entraîne en silence le club de natation de la ville.
Comme quinze autres enfants de Boulogne et d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), Mohamed passera la première semaine des vacances de la Toussaint à apprendre les bases de la natation. Ces apprenti·es nageur·euses ont entre 6 et 12 ans, viennent de familles en difficulté et ont tous et toutes été choisi·es par le Secours populaire pour participer à l’opération baptisée “Comme un poisson dans l’eau”, qui, depuis dix ans, œuvre à faire découvrir la natation aux gamin·es de milieux défavorisés. Cette année, ils·elles seront 675 à y participer en France, sur plus de 75 centres aquatiques publics gérés par l’entreprise Récréa. L’apprentissage ne se limitera pas d’ailleurs à cette semaine, il se poursuivra ensuite pendant les vacances de février et celles de Pâques. À la fin, les enfants recevront une attestation d’aisance aquatique, sésame obligatoire pour pratiquer des activités nautiques en colonie de vacances. Chaque enfant recevra aussi cinq entrées offertes à la piscine de Boulogne.
Un enfant sur deux ne sait pas nager en sixième
Le challenge de l’opération du Secours pop est de taille. Un enfant sur deux ne sait pas nager à son entrée au collège, alors même que la natation scolaire est un enseignement obligatoire à l’école primaire. Les choses ne s’arrangent pas hors du cadre scolaire : savoir nager reste un marqueur social illustrant avec force les inégalités. Selon les chiffres de l’Observatoire de la jeunesse, du sport, de la vie associative et de l’éducation populaire publiés en juin 2021, 90 % des collégien·nes dont les parents gagnent 6 000 euros ou plus déclarent savoir bien nager. En revanche, seul·es 61 % des collégien·nes dont les parents ont un revenu inférieur à 1 200 euros se considèrent comme étant de bon·nes nageur·euses. En tout, 12 % d’entre eux·elles indiquent ne pas savoir nager du tout.
Un apprentissage pourtant essentiel. En juin 2022, Santé publique France recensait 1480 noyades accidentelles pour l’été 2021, ce qui en faisait à l’époque la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans. Bien que personne ne soit à l’abri d’une noyade, pour Christian Lampin, secrétaire national du Secours populaire, des accidents peuvent être évités si les enfants sont familiarisé·es avec le milieu aquatique. “Le but, ce n’est pas forcément que les enfants apprennent à nager parfaitement, mais qu’ils se sentent à l’aise dans l’eau, qu’ils puissent se baigner en sécurité et sans appréhension”, souligne-t-il. En dix ans, l’opération “Comme un poisson dans l’eau” a permis de faire découvrir la natation à 4 500 enfants. Et cela passe en partie par le jeu.
Apprendre à mettre la tête sous l’eau
Chaque matinée de la semaine se déroule d’ailleurs de la même façon : quarante-cinq minutes de cours, un goûter offert par la Ville, puis quarante-cinq minutes de jeux. Autour de la piscine, le groupe vient d’ailleurs de se scinder en deux pour attaquer le cours. Pas de théorie soporifique ici, on passe tout de suite à la pratique. D’un côté du bassin, celles et ceux qui se débrouillent déjà plutôt bien dans l’eau. De l’autre, les néophytes de la brasse. Et pour chacun·e, un maître-nageur reconnaissable à son tee-shirt rouge et sa longue perche en aluminium. Confiant·es, les huit enfants du premier groupe se jettent dans l’eau les un·es après les autres. “Elle est froide !” s’égosille une petite fille. Ils·elles doivent nager chacun·e leur tour sur le dos puis sur le ventre. Chacun·e s’exécute avec une facilité déconcertante. “C’est trop bien, j’adore sauter dans l’eau !” lance un garçon.
Pour celles et ceux du deuxième groupe, dont fait partie Mohamed, il a fallu une petite mise en condition… et en confiance. À présent, ils·elles sont tous et toutes dans l’eau, cramponné·es au bord. Au signal du maître-nageur, ils·elles plongent la tête sous l’eau pour faire des bulles tout en battant des pieds, les mains toujours accrochées au rebord de la piscine. “De cette manière, on leur apprend à ne plus avoir peur de mettre la tête sous l’eau”, explique le maître-nageur à Causette. La méthode semble fonctionner sur tous les enfants, sauf Sabrina qui, après avoir mis deux orteils dans le bassin, est remontée fissa à la surface. La petite fille de 6 ans préfère désormais attendre, bien enveloppée dans une serviette, dans les bras de Martine et de Marie-Pierre.
Elles sont toutes deux référentes de l’antenne Secours populaire à Boulogne-Billancourt. C’est la quatrième fois que les septuagénaires participent à l’opération “Comme un poisson dans l’eau”. Chaque matin, elles accueillent les enfants devant la piscine et les accompagnent se changer dans les vestiaires, puis attendent sur le banc et s’occupent de celles et ceux qui, comme Sabrina, n’ont pas envie de se jeter à l’eau. “Ils sont super contents, ils ont tellement hâte qu’on doit être constamment derrière eux pour ne pas oublier une chaussette dans le vestiaire, affirme Martine, 67 ans, en riant. Pour certains, ce sera la seule activité des vacances. Par exemple, quand on a demandé à une maman si son fils était intéressé, elle a répondu : “Tout plutôt que d’être coincé dans une chambre”. ça montre que pour beaucoup aller à la piscine c’est encore un luxe.”
Le Secours populaire demande une petite participation financière, 2 euros, pour la semaine. Une faible contribution d’après les référentes, le repas du midi étant compris tout comme l’après-midi que les enfants passeront à la patinoire juste à côté. L’association se charge aussi de donner des maillots de bain aux enfants qui n’en ont pas. Un partenariat avec la marque australienne Speedo a également été conclu, permettant ainsi aux enfants de bénéficier de bonnets et de lunettes gratuitement.
“J’avais toujours peur de couler”
Les quarante-cinq minutes du cours se sont écoulées, place au jeu désormais. Les maîtres-nageurs ont installé un parcours fait de matelas en mousse et ont réuni les deux groupes. À la question “Qui veut commencer ?”, une quinzaine de petits doigts se dressent aussitôt. Dont Mohamed, fier comme un bar-tabac de nous annoncer qu’il a été le meilleur sur l’exercice de la tête sous l’eau. Une affirmation aussitôt démentie par Alaia, 6 ans et Fatima, 7 ans. “J’étais le meilleur des garçons ! ” rectifie alors l’intéressé sous le regard courroucé des filles.
Sur la structure flottante, c’est à celui·celle qui sera la·le plus rapide. Plus téméraires que jamais, ils·elles font la course et finissent par tomber à l’eau dans de grands éclats de rire. Après Mohamed, c’est désormais au tour de Fatima de s’élancer sur le parcours en mousse. Avant le stage, la petite fille était déjà allée à la piscine mais ce n’était jamais une partie de plaisir. “J’avais toujours peur de couler”, explique-t-elle. Celle qui avait la trouille de marcher en équilibre sur les matelas réussit l’exercice haut la main. “Je suis super forte maintenant !” lance-t-elle, un large sourire aux lèvres. Opération réussie aussi pour le Secours populaire.