Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale du vélo ! Retour sur l’histoire du bloomer. Au XIXe siècle, ce pantalon court surmonté d’une jupe a participé à la libération des femmes. Essuyant les moqueries et les insultes, la militante féministe Amelia Bloomer le porta avec fierté… Grâce à lui, les femmes ont pu enfin enfourcher un vélo sans danger !
Il en a fallu de la patience et de la persévérance à ces pionnières du XIXe siècle pour enfin chantonner librement sur leur bicyclette. Car à cette époque, c’est empêtrée dans une robe longue, volumineuse et serrée dans un corset, qu’il faut pédaler. Et cela ne facilite pas le mouvement ! Certaines femmes téméraires en ont même perdu la vie, leur jupe se prenant entre les pédales et les rayons d’une roue.
Le cyclisme connaît alors un engouement auprès de la haute société, aux États-Unis, en Angleterre, puis en France… Pour exercer cette nouvelle activité de loisirs, on invente des vêtements : des pantalons bouffants pour les hommes et… rien pour les femmes. Évidemment. « Cela était inconvenant de montrer ses jambes pour la gent féminine, les dévoiler aurait pu inviter à imaginer ce qu’il y a plus haut. Un code culturel, social et moral visait même à lutter contre l’indécence », explique Soline Anthore Baptiste 1, historienne de la mode. Mais c’était compter sans Libby Miller, avocate américaine et militante des droits des femmes, qui va imaginer un habit sur mesure en s’inspirant des tenues des femmes du Moyen-Orient. Exit le corset et la jupe. Elle porte un pantalon resserré aux chevilles, surmonté d’une jupe qui s’arrête aux genoux. Nous sommes en 1851, Libby peut enfin se déplacer à vélo dans les rues de New York et prouve que cette activité est sans danger pour les dames.
Cette épatante initiative est relayée par Amelia Bloomer, directrice du magazine féministe The Lily, qui en fait la promotion assidue. Au point que cette culotte libératrice portera finalement son nom. De nombreuses femmes de la haute bourgeoisie américaine, notamment à San Francisco, s’inspirent du modèle de Libby Miller et le font fabriquer par leur couturier. Conquises par son confort et sa praticité, elles finiront par le démocratiser.
Une bonne correction pour les indociles
Mais, au départ, cet « accoutrement » ne plaît pas à tout le monde. Aux États-Unis, les maris puritains distribuent des coups de cravache à leurs épouses indociles afin de les corriger de cette « mauvaise habitude de s’habiller en homme ». Celles qui le portent sont insultées et harcelées dans la rue tant cette tenue est jugée scandaleuse. Dans le journal Le Constitutionnel du 2 octobre 1851, on évoque une présentation à Londres de ce « nouveau costume américain pour dames ». Devant l’indignation de ces messieurs en redingote, l’organisatrice de la soirée leur rétorquera : « Pour nous, les femmes, il existe une forme d’esclavage à abolir contre lequel la religion, la morale, la loi sont impuissantes. Notre tyran, c’est la mode ! La toilette actuelle des dames exerce sur elles une torture physique, spirituelle et morale. » Le bloomer inspirera même une pièce comique, Les Blooméristes ou la Réforme des jupes, qui fit les belles soirées du Théâtre du Vaudeville de Londres. Dans le quotidien Le Siècle, Amelia Bloomer est traitée d’« excentrique insulaire qui a attaché son nom à l’idée la plus saugrenue qui ait pu poindre dans une cervelle humaine, celle de masculiniser les femmes par le costume d’abord, par les habitudes ensuite ».
Avalanche de fake news
Mais pourquoi tant d’hostilité ? Parce que le vélo est bien plus qu’un loisir ou un simple sport, bien sûr. En effet, il permet aux femmes de se déplacer seules. L’activité est peu coûteuse et facile à apprendre. Elle leur offre l’indépendance et au XIXe siècle, c’est absolument révolutionnaire. En août 1851, le bloomer connaît son heure de gloire lorsque la suffragiste Hannah Tracy Cutler le porte au Congrès mondial de la paix à Londres. « Une femme en bloomer incarne l’idée de l’égalité et de la “liberté de mouvement” au sens propre du terme. Chaque femme sur un vélo était une attaque contre le patriarcat et une façon pour toutes les femmes de reconsidérer leur statut, car qui n’aimerait pas sentir le vent sur son visage et se déplacer de manière autonome ? » confirme Rebekka Endler, autrice d’un essai percutant sur le caractère patriarcal des objets 2. « De plus, il y avait la crainte absurde que la selle stimule trop leur plaisir… C’est pourquoi les hommes diabolisaient cette pratique », ajoute-t-elle. Selon certains médecins, faire du vélo était même jugé comme immoral et dangereux pour la fertilité des femmes. Autant dire que ça ne lésinait pas sur la fake news !
Le bloomer s’imposera finalement au tournant du XXe siècle, d’abord aux États-Unis puis en France. Grâce aux clubs de femmes et de jeunes filles pugnaces issues des meilleures familles, qui l’imposeront en pratiquant des sports jusque-là réservés aux hommes : la course à pied, le canotage ou le cricket. Témoignage d’un temps heureusement révolu, cette culotte de cycliste est même entrée au musée dans la collection permanente du Palais Galliera, à Paris ! « On parle souvent de l’abandon du corset, mais la véritable émancipation se trouvait en réalité dans le droit à “porter la culotte”. Pour preuve, le bloomer a été aussi revendiqué dans les années 1880 1890, lors des campagnes féministes. Cette tenue a marqué un pas important, car c’était la première fois qu’un vêtement qui s’apparentait à un pantalon entrait dans le vestiaire féminin », conclut Soline Anthore Baptiste. Il faut ainsi rappeler qu’en France une loi datant de 1800 interdisait le « travestissement des femmes », soit le port du pantalon. Loi qui n’a été abrogée qu’en 2013.