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© Markus Spiske

Au-​delà des “bla­bla­bla”, les COP res­tent indis­pen­sables à la lutte contre le chan­ge­ment climatique

COP après COP, les diri­geants enchaînent les décla­ra­tions gran­di­lo­quentes, mais les émis­sions de gaz à effet de serre conti­nuent d’augmenter for­te­ment. La diplo­ma­tie cli­ma­tique reste tou­te­fois indis­pen­sable : le pro­gramme des Nations unies pour le cli­mat est le seul forum où la quasi-​totalité des pays du monde peuvent coor­don­ner leur action.

« Neutralité car­bone d’ici 2050, bla bla bla… » En trois syl­labes sèches, Gretta Thunberg fusille les diri­geants mon­diaux et leur iner­tie face au chan­ge­ment cli­ma­tique. Nous sommes au Youth4climate sum­mit, orga­ni­sé par les Nations unies, à Milan un mois avant la COP 26, qui doit s’ouvrir ce lun­di à Glasgow. La jeune acti­viste sué­doise dégaine une de ses for­mules choc pour dénon­cer une réa­li­té crue : depuis près de 30 ans, les som­mets inter­na­tio­naux s’enchaînent et les lea­ders poli­tiques pro­mettent de sau­ver le monde. Mais dans les faits, les émis­sions de CO2 ont aug­men­té de plus de 62 % sur la même période. À se deman­der si ces fas­tueuses réunions de puissant·es servent à autre chose qu’à camou­fler leur inaction.

« On peut pas dire que tout ce qui se fait lors de ces COP se limite à du bla bla », tem­père Juan Pablo Osornio, chef de délé­ga­tion pour Greenpeace inter­na­tio­nal à la COP de Glasgow, rodé à la diplo­ma­tie cli­ma­tique et à ses arcanes. « Certains pays comme la Gambie font réel­le­ment de gros efforts. » Depuis l’accord de Paris, conclu à la COP21, en 2015, ce minus­cule pays d’Afrique de l’Ouest, encla­vé dans la côte séné­ga­laise, a lan­cé des plans de refo­res­ta­tion et de déve­lop­pe­ment d’énergies renou­ve­lables par­ti­cu­liè­re­ment ambi­tieux. Dans son rap­port annuel de sep­tembre der­nier, le groupe de cher­cheur Climate Action Tracker estime que c’est le seul pays ana­ly­sé dont les plans sont ali­gnés sur l’accord approu­vé en 2015. « Mais il est vrai que la majo­ri­té des pays se limite à de belles paroles, pour­suit Juan Pablo Osornio. La science dit qu’il faut atteindre la neu­tra­li­té car­bone d’ici 2050. Le pro­blème, c’est que des gou­ver­ne­ments ou des entre­prises uti­lisent ce mot pour don­ner l’impression d’agir. »

« Fixer une limite de 1,5 °C de plus sur le ther­mo­mètre, recon­naître que les pays déve­lop­pés sont bien plus res­pon­sables du chan­ge­ment cli­ma­tique que les autres et les contraindre à finan­cer la tran­si­tion des pays pauvres, s’appuyer sur la science pour fixer les règles, pour nous, tout cela est posi­tif… », énu­mère Youth for Climate France, mou­ve­ment qui entend fédé­rer la jeu­nesse pour qu’elle exige que les diri­geants passent de la parole à l’acte.  « Des choses sont donc mises en place, on ne va pas le nier, estime Zoé*, 19 ans, très impli­quée dans le mou­ve­ment Youth for cli­mate à Toulouse. Mais par rap­port aux objec­tifs à atteindre, c’est tel­le­ment peu que c’est presque rien. C’est la 26è COP, et la situa­tion empire. Quand on voit à quelle vitesse la crise sani­taire a été prise en charge, je me demande pour­quoi on ne fait pas pareil pour le cli­mat. Les connais­sances scien­ti­fiques, on les a. Les solu­tions, on les connaît. »

L’humanité se dirige droit dans le mur, en dépit des avertissements

Difficile de lui don­ner tort. Selon le groupe d’experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC), l’humanité doit réduire ses émis­sions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 45 % d’ici à 2030 pour avoir une chance de limi­ter la mon­tée de la tem­pé­ra­ture glo­bale à 1,5°C par rap­port à l’ère pré­in­dus­trielle. Pour le moment, les plans de réduc­tions pré­sen­tés par les États mène­raient à une hausse de 2,7°C. La dif­fé­rence peut sem­bler infime, mais l’impact serait énorme.

C’est pour­tant le résul­tat de 29 années d’efforts diplo­ma­tiques. En 1992, la Convention-​cadre des Nations unies sur le chan­ge­ment cli­ma­tique (CCNUCC) est créée pour « struc­tu­rer la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale dans la lutte contre » ce phé­no­mène. Les pays signa­taires, appe­lés « par­ties », se réunissent pour un pre­mier som­met, à Berlin, en 1995. C’est la pre­mière COP, pour « Conference of the par­ties ». Ces réunions se tien­dront désor­mais chaque année. En 1997, les par­ti­ci­pants à la CCNUCC tombent d’accord sur le pro­to­cole de Kyoto, qui vise à réduire les rejets de GES de 5 % par rap­port aux niveaux enre­gis­trés en 1990. L’échéance fixée se situe entre 2008 et 2012. Le texte n’a jamais été rati­fié par les États-​Unis, plus gros pol­lueur au monde à l’époque, et n’impose aucun objec­tif contrai­gnant à la Chine, qui a dépas­sé son rival amé­ri­cain depuis. Entre 1990 et 2012, les rejets de CO2, prin­ci­pal gaz à effet de serre, aug­mentent de 53 % dans le monde. 

En 2015, l’accord de Paris, approu­vé lors de la COP21, est accueilli comme un énorme suc­cès. Son but : conte­nir « l’élévation de la tem­pé­ra­ture […] net­te­ment en des­sous de 2 °C […], et pour­sui­vant l’action pour [la] limi­ter […] à 1,5 °C. » Ratifié par 191 dont les États-​Unis et la Chine, et par l’Union euro­péenne, le texte est juri­di­que­ment contrai­gnant. Mais l’économie mon­diale n’a ces­sé de vomir des quan­ti­tés tou­jours plus éle­vées de car­bone dans l’atmosphère depuis, en dehors de quelques mois de pause, au début de la pan­dé­mie. Selon l’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie, l’année 2021 connaî­tra la seconde hausse la plus éle­vée de l’histoire… « Mais on ne peut pas géné­ra­li­ser, et décré­ter que tout cela ne sert à rien, insiste Juan Pablo Osornio, de Greenpeace. Les résul­tats déce­vants de ces som­mets ne sont que le reflet de l’action poli­tique des diri­geants qui s’ensuit. » 

Et poli­ti­que­ment, « la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique n’est pas une prio­ri­té. On voit bien que quand il y a une crise sociale, ça met la pres­sion et des déci­sions sont prises rapi­de­ment », ana­lyse Zoé, qui étu­die à SciencesPo Toulouse. Qu’à cela ne tienne. La jeune femme pré­voit de tra­ver­ser la manche, ce week-​end, pour se rendre à Glasgow et faire pres­sion depuis l’extérieur du som­met sur les diri­geants qui négo­cient dedans. « Les COP offrent une énorme tri­bune média­tique », assume-​t-​elle. Une grande mani­fes­ta­tion est pré­vue ven­dre­di 5 novembre. Zoé y sera. Le chef de délé­ga­tion de Greenpeace abonde : « C’est un espace où les mou­ve­ments citoyens, les mou­ve­ments autoch­tones et la jeu­nesse peuvent faire entendre leurs voix pour mettre la pres­sion sur les gou­ver­ne­ments. Ça contri­bue à aug­men­ter les chances d’arriver à un accord positif. »

Ces petits riens qui font déjà beaucoup 

En dépit de ses pesan­teurs, la diplo­ma­tie cli­ma­tique a tout de même fait bou­ger les choses. Le pro­to­cole de Kyoto a raté sa cible, mais il a fixé un pre­mier cadre pour mettre la ques­tion à l’agenda. Au fil de ses rap­ports, le GIEC a pro­duit une docu­men­ta­tion solide, rigou­reuse et recon­nue. Difficile de nier le phé­no­mène aujourd’hui, ou de contes­ter que l’activité humaine en soit à l’origine. 

Quant à l’accord de Paris, « il est entré dans l’esprit du public. Il ne per­met peut-​être pas de sanc­tions pour impo­ser sa mise en œuvre mais il a péné­tré les sys­tèmes juri­diques et les tri­bu­naux de dif­fé­rents pays et don­né plus de force à la loi pour agir contre les acteurs qui émettent le plus », se satis­fait Osornio. La jus­tice des Pays-​Bas, par exemple, a condam­né en mai der­nier le géant pétro­lier Shell à réduire ses émis­sions de CO2 de 45 % d’ici 2030, après une assi­gna­tion en jus­tice par sept ONG, qui l’accusaient de ne pas en faire assez pour res­pec­ter l’accord de Paris.

« Oui, il y a eu des pro­grès sur le cli­mat. Non, ce n’est abso­lu­ment pas suf­fi­sant », résume le New York Times, ce lun­di, dans un article agré­men­té d’une info­gra­phie mon­trant à la fois la tra­jec­toire sur laquelle l’humanité s’engageait avant la COP21 (+4,6 à 3,6°C), celle qu’elle suit aujourd’hui (+ 3,1 à 2,7°C) et l’avenir qui se des­si­ne­rait si tous les enga­ge­ments actuels étaient res­pec­tés (+2,4 à 2,1 °C).
« Les Nations unies sont le seul forum dans lequel la tota­li­té des pays sont pré­sents [pour coor­don­ner l’action cli­ma­tique], et dans lequel cha­cun a une voix. C’est aus­si ça qui le rend frus­trant », concède Juan Pablo Osornio. Mais « si les annonces et les pro­messes des pays ne sont pas sui­vies par des actes ou des plans d’action à court terme, cela reste des blabla. » 

Au len­de­main de l’ouverture de la COP de Glasgow ce mar­di 2 novembre, 80 pays dont ceux de l’Union euro­péenne et les États-​Unis se sont enga­gés à réduire leurs émis­sions de méthane – deuxième gaz à effet de serre en termes d’émission liée à l’activité humaine après le CO2 – de 30% d’ici 2030. « Une action rapide pour réduire les émis­sions de méthane est essen­tielle pour gar­der l’objectif de 1,5 °C à notre por­tée. Jamais les pays ne s’étaient unis pour com­battre cette par­tie du puzzle cli­ma­tique », contex­tua­lise Ani Dasgupta, pré­si­dente du think tank World Ressource Institute (WRI), ins­ti­tu­tion de réfé­rence dans l’analyse des poli­tiques de lutte contre la hausse des tem­pé­ra­tures. Pour être tenu, cet enga­ge­ment néces­si­te­ra de réduire notre uti­li­sa­tion de com­bus­tibles fos­siles, mais aus­si de réduire notre consom­ma­tion de viande et de pro­duits lai­tiers, puisque c’est l’élevage des bovins qui en émet le plus.

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