Camille Etienne
© Solal Moisan

Camille Étienne : “Chaque minute compte, chaque kilo de PFAS émis, ce sont des gens qui meurent”

Ce jeudi, le député écologiste Nicolas Thierry défend une proposition de loi visant à interdire la fabrication de produits contenant des PFAS, des substances chimiques utilisées pour leurs nombreuses propriétés mais qui, pour certaines, ont des effets néfastes sur la santé. La militante écologiste Camille Étienne consacre un documentaire pédagogique et instructif à ce sujet. Elle revient pour Causette sur ce nouveau combat qu’elle endosse avec force.

Ustensiles de cuisine, cosmétiques, cordes de guitare, vêtements… Dans certains de ces objets et produits, qui font partie de notre quotidien, se retrouvent des PFAS, des composés per- et polyfluoroalkylées, également connus sous le nom de “polluants éternels”. Utilisés depuis des décennies par les industriel·les pour leurs propriétés antiadhésives, antitaches, leur imperméabilité ou leur résistance à la chaleur, certains PFAS sont pointés du doigt dans de nombreuses études pour leurs effets sur la santé et leur persistance dans l’environnement et le corps humain.

L’une de ces molécules, le PFOA, interdite d’utilisation par l’Union européenne en 2020, se retrouvait jusque-là dans la composition du Téflon, une matière permettant, par exemple, de rendre les poêles antiadhésives. Ce jeudi 4 avril, le député écologiste Nicolas Thierry défend une proposition de loi visant à interdire la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des produits contenant ces substances chimiques. La militante écologiste Camille Étienne vient de publier en accès libre sur YouTube un documentaire, pédagogique et instructif, à ce sujet, baptisé Toxic Bodies (56 minutes). Elle revient pour Causette sur ce nouveau combat qu’elle endosse avec force.

Causette : Votre documentaire s’ouvre sur une activité somme toute banale : la cuisine. Vous vous souvenez que vous n’aviez jamais de poêles en Téflon à la maison, lorsque vous étiez petite, et que vous faisiez toujours cramer vos œufs. Mais votre mère utilisait les autres types de poêles pour une bonne raison
Camille Étienne : On peut très bien utiliser une poêle en fer pour faire cuire ses œufs, sans qu’ils accrochent trop. C’est juste moi qui suis nulle [rires]. Depuis longtemps, ma mère me disait de ne pas utiliser d’ustensiles en Téflon. Cela fait partie des “trucs de mamans”. Il y avait eu un scandale autour de cette matière. On pensait que tout était réglé, que les revêtements avaient été changés. Mais en creusant un peu plus, on s’est rendu compte qu’il existait encore un sujet.

Oui, vous démontrez que si les industriel·les n’utilisent aujourd’hui plus certaines substances, comme le PFOA, d’autres PFAS les ont remplacées.
C.É. : C’est ce qu’on appelle la substitution regrettable : à chaque fois qu’une molécule est interdite parce qu’elle fait scandale, on la remplace par une autre de la même famille. Sauf qu’il s’agit plus ou moins de la même, avec un nom différent tout simplement. Mais il faudra beaucoup de temps pour prouver que cette dernière est également toxique et réaliser ensuite tout un travail réglementaire pour l’interdire. Cela prend des années. Il ne faut pas interdire chaque molécule une à une, mais toute leur famille.

Vous avez épluché de nombreuses études sur les PFAS. En quoi s’avèrent-elles problématiques ? Pourquoi leur exposition pose-t-elle question ?
C.É. : La toxicité de plusieurs PFAS est prouvée dans ces études. Certaines de ces molécules exposent à un risque de développer un cancer des testicules, participent au vieillissement des ovaires, perturbent les organes reproducteurs chez les hommes. On voit aussi qu’elles affaiblissent notre corps, sa réponse immunitaire aux maladies, et qu’il réagit moins bien après un vaccin. Mais surtout, les polluants éternels ont une capacité à rester en nous qui est dangereuse : on ne les évacue pas du tout et ils s’accumulent. Cela suffit, dans la littérature scientifique, pour dire qu’il faut faire attention à ces substances.
Même si des études n’ont pas été réalisées sur toutes les PFAS pour prouver leur non-toxicité, il faudrait, je pense, agir avec un principe de précaution et de prévention. Dire aux industriels de démontrer que ces substances ne sont pas toxiques pour ensuite pouvoir les mettre partout. Ça devrait intervenir dans ce sens. Sauf que ce n’est pas le cas aujourd’hui. On réalise des études après-coup.

Vous expliquez également que ce n’est pas tant les produits créés qui sont problématiques, mais le processus de production des PFAS qui va les relâcher dans l’air, dans l’eau et les nappes phréatiques.
C.É. : Oui. On a testé sur moi la potentielle présence de 12 PFAS sur les plus de 14 000 existants. On en a retrouvé un. Ce qui est assez fou, parce que j’ai toujours fait attention. Ce qui prouve bien que ces molécules se retrouvent partout. Dans une récente étude, révélée par Mediapart, le parti EELV a testé la présence de PFAS dans l’eau potable de vingt-six villes. On en a retrouvé dans vingt et une. Ce n’est pas rien.

Le député Nicolas Thierry présente ce jeudi une proposition de loi visant à interdire la production de produits avec des PFAS. Une initiative à laquelle s’opposent les industriel·les, comme SEB (Tefal, Rowenta, Krups…) en France. Cette entreprise parle de menaces sur l’emploi, en cas de vote, car elle utilise des PFAS dans certaines de ses poêles. Peut-on se passer des polluants éternels ?
C.É. : Il existe des PFAS qui sont utilisées seulement pour optimiser la performance d’un objet, comme pour la poêle par exemple. On peut accepter une baisse de performance, que la poêle accroche, et se passer des polluants éternels quand ce n’est pas nécessaire. L’entreprise en question produit déjà des poêles en inox et en céramique, c’est-à-dire sans PFAS. Les Français auront toujours besoin de ces ustensiles. Donc SEB doit simplement changer ses lignes de production. Le groupe peut devenir le leader sur ce créneau.
Il y a ensuite des PFAS qui peuvent être remplacées par des substituts. C’est ce qu’ont expliqué des leaders du secteur des cosmétiques et du textile lors d’auditions à l’Assemblée nationale. Ils ont dit qu’ils étaient prêts à s’en passer, mais qu’il fallait une interdiction pour que tout le monde le fasse en même temps et que certains de leurs concurrents ne continuent pas à les utiliser.
Enfin, pour les usages essentiels ou pour lesquels on a besoin d’un peu plus de recherche, comme dans le médical, le but de la loi est de se laisser jusqu’à 2030 pour trouver des alternatives.

Le gouvernement a, de son côté, fait savoir qu’il n’était pas favorable à la proposition de loi, car il souhaite attendre que l’Union européenne intervienne sur le sujet. Mais cette décision ne pourrait intervenir qu’en 2027…
C.É. : Ce sera même bien plus tard parce que les lobbies ont encore plus de pouvoir en Europe. On ne sait d’ailleurs pas quel Parlement européen on va avoir avec les élections qui arrivent. Je trouve la position de l’État hallucinante, même si elle était prévisibe. Sauf que chaque minute compte, car à chaque kilo de PFAS émis, ce sont des gens qui meurent. Traiter les maladies liées aux polluants éternels coûte entre 40 et 80 milliards d’euros par an à notre système de santé. Donc que ce soit pour des raisons économiques ou de santé, je ne comprends pas qu’on puisse se dire qu’on va attendre plusieurs années pour agir.


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