Pour la première fois en France, une étude s’est penchée sur les financements publics et privés de l’agriculture et conclut que seul 1 % des aides publiques contribue de façon avérée à réduire l’utilisation des pesticides dans nos champs. Pour la Fondation Nicolas Hulot, qui, devant ce constat d’échec, la signe, il faut désormais que ces aides soient beaucoup plus incitatives, pourquoi pas avec l’instauration d’un bonus-malus.
« Nous avons identifié des verrous et parfois même des aberrations en matière de réduction réelle de l’utilisation des pesticides en France », a annoncé Nicolas Hulot, lors de la présentation à la presse de l’étude Réduction des pesticides en France : pourquoi un tel échec ?, réalisée par sa fondation. Pour la première fois en France, la fondation a réalisé une analyse sur le financement public et privé de la réduction des pesticides. Un travail nécessaire étant donné les difficultés du pays à se passer des produits phytosanitaires. L’ambition de la France de réduire son utilisation des pesticides de 50 % d’ici à 2025 est en effet un échec : depuis 2010, le recours à ces produits a au contraire augmenté de 25 %.
Pour l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, qui espère que l’initiative de sa fondation s’inscrira dans une troisième voie « face à deux postures stériles, l’agrobashing et l’écolobashing », les résultats de l’étude, qui s’est basée sur la comptabilité de 7 000 exploitations représentant 90 % des entreprises agricoles françaises, sont « édifiants ». Alors que 23,2 milliards d’euros par an de financements publics viennent en aide aux agriculteurs français, seuls 11 % d’entre eux ont pour intention la réduction des pesticides. Pire : la fondation a pu constater qu’au total seul 1 % de ces 23,2 milliards contribuent effectivement à cette réduction, soit 232 millions d’euros. Les autres mesures ciblées anti-pesticides n’ont pas d’effet avéré sur le terrain, selon la fondation. Ce petit pour cent correspond à des aides au maintien ou à la conversion en bio, ainsi qu’aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), des aides gouvernementales accompagnant l’engagement global de toutes les parcelles d’une exploitation vers des pratiques environnementales. Une goutte d’eau face aux mauvaises habitudes des grandes exploitations de l’agriculture conventionnelle qui continuent d’utiliser des pesticides leur assurant une certaine rentabilité de production.
Lire aussi : Sortir du glyphosate, c’est chaud patate !
Autre enseignement de l’étude, coréalisée par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) : le financement privé « n’a quasi aucune intention » d’inciter et d’accompagner le décrochage des pesticides. Concrètement, explique Christophe Alliot, du Basic, les aides proposées par les établissements bancaires ou financiers « n’ont pas de critère de durabilité associé ».
“Dualisation” de l’agriculture française
Ce sont les grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux, betteraves à sucre, pommes de terre) qui consomment 70 % des pesticides en France. La viticulture vient en deuxième position, avec 14 % de cette consommation, suivie par les fourrages (7 %), les fruits (5 %) et, in fine, les légumes et l’horticulture (4 %). Force est de constater que les interdictions régulières de produits pesticides particuliers ne suffisent pas à changer la donne, puisque les retraits du marché de ces produits sont compensés par un report d’utilisation sur des produits toujours autorisés.
C’est en fait un constat de « dualisation en cours de l’agriculture française » que pose la fondation : alors que les exploitations qui avaient pour habitude d’utiliser peu de pesticides poursuivent leur détachement de ces produits, celles qui en faisaient le plus usage continuent d’augmenter les doses. Autrement dit dans l’étude, « la hausse des pesticides est essentiellement le fait d’une poignée d’exploitations agricoles [9 % d’entre elles, ndlr] les plus utilisatrices de pesticides ». « Les modèles alternatifs grossissent moins vite, ajoute Caroline Faraldo, responsable agriculture et alimentation à la Fondation Nicolas Hulot. Nous sommes pourtant à un moment charnière : dans six ans, 45 % des agriculteurs vont partir à la retraite. C’est donc le moment ou jamais, alors que le monde agricole se renouvelle, d’accompagner les nouvelles vocations vers des systèmes d’exploitation sans pesticide. »
Vers un bonus-malus pesticide ?
La fondation soulève deux leviers financiers principaux à exploiter. D’abord, améliorer le fléchage des financements de la Politique agricole commune (PAC), qui, pour l’heure, ne consacre « que 2 % de ses aides au bio », en transformant la dotation jeune agriculteur. Surtout, elle propose une réforme de la fiscalité agricole, en instaurant un bonus-malus incitant, par le porte-monnaie, les grosses structures agricoles à se débarrasser des pesticides. Dans le concret, il s’agirait de pénaliser les structures continuant à y recourir et de verser l’argent récolté aux sociétés qui, elles, s’en éloignent. « France Stratégie [institution de prospective rattachée au Premier ministre] a déjà elle-même proposé cette idée, souligne Caroline Faraldo. Nous considérons que, durant la dernière année de son mandat, Emmanuel Macron pourrait s’atteler à revoir le plan PAC avec nos partenaires européens lors du premier semestre et réformer la fiscalité agricole dans le second semestre. »
« L’argent est là, il faut juste qu’il bénéficie véritablement aux initiatives de transition agricole, insiste Nicolas Hulot. C’est ainsi que nous entraînerons avec nous l’entièreté du monde agricole. » L’ex-ministre soulève aussi un dernier levier : celui de la commande publique, à travers la restauration collective, par exemple, qui peut forcer les grandes exploitations à « transitionner » vers une production sans pesticide. De quoi nourrir les arbitrages du président Macron quant à la loi climat, qui sera présentée mercredi 10 février et se propose de retranscrire au plus près les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.